dimanche 25 novembre 2018

PREMIER CHAPITRE DE MON NOUVEAU ROMAN À PARAITRE BIENTÔT AUX ÉDITIONS PUBLIBOOK

CHAPITRE 1 : RÉVEIL PLUVIEUX, RÉVEIL HEUREUX

  Émilie venait d’atterrir sur leur lit. En mode bombe humaine. Avec explosions de rires, projections de chatouilles et pluie de bisous. La vie personnifiée. Un bonheur sans cesse renouvelé. Quoique … un peu fatigant le bonheur ! Un coup d’œil à son portable venait d’apprendre à Aurélie qu’il était 7h30 : une heure et demie de grasse mat’, tu parles d’un luxe ! 
  Si encore il faisait beau ! Se réveiller un peu plus tôt pour avoir le plaisir de partager un petit-déjeuner en famille sur la terrasse était quelque chose qu’ils n’avaient pas fait depuis longtemps. Quelque chose qui compensait souvent la fatigue répétée des réveils matinaux, des double-journées de prof et de mère, sans compter les efforts pour assurer un cadre de vie confortable à tous et même maintenir un semblant de vie sociale.
  Mais non ! La pluie tambourinait le long de la vitre, comme la veille, et l’avant-veille et … tout le mois qui venait de s’écouler. Ça, le printemps? Les giboulées de mars auraient dit sa grand-mère mais … Aurélie n’était pas d’humeur à relativiser. 
  - Lilie, tu exagères ! Il pleut ! Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse debout si tôt ? Allez, descends de là ! Il va falloir aller préparer le petit-déjeuner de ton frère, avec le bruit que tu fais, il est surement réveillé maintenant et …
  Émilie s’était écartée et Aurélie venait d’apercevoir le petit Jules, à moitié couché sur leur lit, en train d’essayer de se mêler lui aussi à la douce bataille qui venait de se dérouler sous ses yeux. Comme toujours, elle fondit devant ce regard si semblable au sien, à celui de sa mère à elle, ces grands yeux bleus candides qui chaque matin semblaient regarder la vie avec un curieux mélange d’envie et de crainte. 
  Aurélie se préparait à l’attirer contre elle, bien au chaud sous la couette quand quelqu’un fut plus rapide qu’elle : Daniel venait de se glisser hors du lit à sa façon à la fois souple et efficace, et s’emparant de Jules, le déposa à sa place. 
  - Allez, tout le monde au lit, je vous monte le petit-déjeuner dans dix minutes. 
  C’était dans des cas comme ça qu’elle l’aimait son Daniel ! Tendre et compréhensif. Et efficace ! Et … bien foutu ! Le boxer mettait particulièrement en valeur ses …
  - Maman! On fait quoi, aujourd’hui? 
  Pas moyen de fantasmer tranquille, décidément ! Ce soir, peut-être … Pour l’instant, il fallait répondre à Emilie :
  - Je ne sais pas, ma grande, tu vois, il pleut, on ne peut …
  - On peut faire des crêpes !
  Des crêpes ? À tout prendre ce n’était pas une si mauvaise idée, ça simplifierait le déjeuner, occuperait les enfants une grande partie de la matinée, lui donnerait un bon prétexte pour ne pas s’occuper de la pile de linge à repasser … Et puis, c’était l’un des seuls moments où Jules semblait vraiment s’épanouir. L’entendre rire aux éclats en mélangeant la pâte ou réciter avec le plus grand sérieux du monde la liste des ingrédients était un de ces petits bonheurs qui font parfois toute la différence. 

  La matinée s’était écoulée et, tel un long fleuve de tendresse, les avait déposés sur la rive, repus, heureux et prêts à affronter de nouvelles aventures. S’arrachant à la douce léthargie qui commençait à l’envahir, Daniel s’était posté depuis quelques instants devant la grande baie vitrée du salon. Un coup d’œil dans sa direction confirma à Aurélie ce qu’elle avait deviné depuis un moment : l’après-midi se passerait dehors. Le ciel semblait du côté de Daniel; un timide rayon de soleil venait de balayer le jardin et de se faufiler jusqu’à eux. 
  - Chérie, on pourrait …tu sais, la braderie à Villeneuve, c’est aujourd’hui. C’est à cinq minutes, en voiture, s’il se remet à pleuvoir on rentre tout de suite et … 
  Le cartable était là-bas, posé près de la porte, là où elle l’avait littéralement laissé tomber la veille, trop heureuse de s’en débarrasser après l’interminable semaine. Il aurait fallu … les copies … déjà la matinée était passée … les cours à préparer … la soirée du samedi était le moment qu’ils se réservaient Daniel et elle … les copies, les cours à préparer … tant pis … demain !
  - OK, on y va, allez, avant que le soleil ne change d’avis. 
  Aussitôt dit, aussitôt fait, les blousons enfilés, les « grands » furent conviés par Jules à le regarder mettre son manteau « comme la maitresse elle l’a fait voir » : vêtement au sol devant lui, capuche à ses pieds et étiquette apparente, on se penche, on passe les bras dans les manches, on se relève avec les bras bien en haut et le manteau retombe automatiquement en position, capuche sur la tête. Des applaudissements nourris saluèrent une fois de plus la performance et tout le monde se retrouva ensuite dans le garage puis dans la voiture. 

  Les stands tentaient de s’aligner mais sans grande conviction, il y en avait toujours un pour déborder un peu à droite, un peu à gauche, un bout de bâche qui tentait de s’échapper, un tabouret d’un côté … Comme s’il était impossible de contenir la vie qui émanait de tout ce bazar hétéroclite. Une vie qui les attirait tous les quatre à leur façon. 
  Dès l’arrivée, ils s’étaient séparés en deux équipes; Daniel et Émilie d’un côté, Aurélie et Jules de l’autre. Pour mieux ratisser la zone, comme une vraie patrouille militaire songeait parfois Aurélie. Courir les braderies était un de leurs passe-temps favoris et, dès que le temps le permettait, ils sortaient perfectionner leur technique de recherche.  
  La braderie du jour était relativement peu étendue, seulement constituée d’une place et de deux des rues adjacentes, et rares étaient les promeneurs à avoir osé parier sur le soleil; il était facile d’y progresser. Chaque « patrouille » fouillait de son côté, prête à interpeller l’autre en cas de trouvaille. 
  Les choses étaient claires, Émilie et son père recherchaient les vieilles cartes postales et les vinyles. Les cartes servaient de support à l’imagination débordante de la fillette qui s’inventait des mondes et des histoires rien qu’en découvrant des noms inconnus. De leçons de géographie ensuite entre questions à Maman et recherches à deux sur l’ordinateur. Si en plus, la carte avait servi, ce n’était plus seulement l’histoire du lieu mais celle de ses visiteurs qu’elle s’imaginait. 
  Les vinyles, eux, étaient une passion plutôt récente chez Daniel. Un soir, il était revenu avec un vieux tourne-disque trouvé chez un client qui voulait débarrasser la maison dont il venait d’hériter avant de la vendre. Il avait passé du temps à réparer, nettoyer et refaire fonctionner l’engin et avait connu un moment de triomphe quand il avait pu prouver à ses gamins que quelqu’un d’autre que M. Pokora avait chanté Alexandrie Alexandra. Barracuda et grésillement inclus. Émilie et Jules avaient trouvé ça étrange mais marrant et depuis Daniel partait régulièrement à la recherche de ces petites galettes en plastique noir où il avait l’impression de retrouver une sorte de bonheur fait d’insouciance, de légèreté et d’une certaine distance avec le quotidien. 
  En ce qui concernait l’autre équipe, elle était nettement moins active. Jules … ne cherchait pas vraiment grand-chose, il papillonnait de ci de là, attiré par une figurine colorée ou par une petite voiture. Quant à Aurélie, elle laissait son regard flotter au dessus des stands, cherchant la surprise, le bel objet ou le livre poussiéreux. Elle venait de décider que rien ne pourrait lui convenir de ce côté-ci de l’allée quand elle entendit Daniel l’appeler. 

  Dans l’entrée, le cartable n’avait pas bougé d’un pouce. Et il resterait sagement en place jusqu’au lendemain matin; la soirée avait été longue et les enfants venaient tout juste de s’endormir : l’heure de la détente avait enfin sonné. Les enfants s’étaient montrés encore plus enthousiastes que leur père à propos de la pile de disques rapportés. Ils avaient découvert pêle-mêle Dalida, Elvis Presley, Adamo, Barbara … et tant d’autres. Ils avaient voulu écouter un disque puis un autre et un autre … et la maison avait retenti de sonorités oubliées et de rires d’enfants bien au-delà de ce qui était d’ordinaire permis même un samedi. 
  Daniel était monté se coucher depuis quelques minutes et la fatigue d’Aurélie la poussait à le rejoindre au plus vite. Pourtant, elle s’arrêta sur sa lancée et contempla ce qu’elle appela instantanément la « scène de bataille »; c’était plus fort qu’elle : elle devait d’abord ranger soigneusement tous les vinyles à côté du tourne-disque. Laisser le repassage soit, repousser la préparation des cours au lendemain soit mais … le désordre : jamais. 
  Cela ne lui prit d’ailleurs que quelques minutes et elle était en train de déposer le dernier -un 45 Tour de Brassens- quand elle s’aperçut qu’un des vinyles était resté dans le sac que le vendeur leur avait donné pour transporter leur précieux chargement. Intriguée, elle s’en empara. La galette de plastique noir était seule, aucune pochette ne l’accompagnait et l’étiquette collée au centre tellement défraichie et même déchirée, qu’il était impossible d’identifier l’artiste. 

  Sans bien comprendre pourquoi, elle ne put résister à la tentation de glisser le disque dans l’appareil: elle voulait au moins savoir. Homme ou femme? Anglais ou français? Rock ou variété? Dès que les premières notes s’élevèrent, elle sentit un long frisson la parcourir.

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