mercredi 20 avril 2016

SOUVENIR 

Les murs suintent la peur. La peur et l'eau de javel. Pour un peu on pourrait se croire à la piscine. A la piscine version Aurélie bien sûr. Si elle était dans son état normal, elle serait surement en train de se dire que « aseptisé » n'a jamais été autant pris au pied de la lettre ; un monde blanc où une couleur semble un gros mot et une tâche une agression, un monde aux odeurs annihilées, un monde aux bruits diffus, déformés par les portes coupe-feu.
Seulement Aurélie n'est pas dans son état normal. Il y a longtemps qu'elle a cessé d'essayer de se raccrocher à la petite horloge - blanche elle aussi - qui surplombe la porte. La porte derrière laquelle Marie a disparu tout à l'heure. En abandonnant Aurélie à l'angoisse.
Entre la vie et la mort. C'est ce qu'ils ont dit. Et aussi que ce n'était pas un endroit pour une enfant. Un mot qui a failli la mettre hors d'elle. Pourquoi pas un bébé tant qu'ils y étaient ? Elle a bien compris que Robert avait fait un infarctus, qu'il était aux soins intensifs et « branché de partout ». Et que ce n'était pas un spectacle facile à soutenir. Seulement, elle est là et elle n'est pas venue pour rien. Elle a bien l'intention de voir ce qui se passe exactement.
Pour l'instant, tout ce qu'elle sait c'est que Marc a très probablement sauvé la vie de son commandant en préférant l'emmener à l'hôpital plutôt que de le ramener chez lui. Un refus d'obéissance qui aurait pu lui couter cher.
Une décision qui a fait la différence. Entre la vie et la mort. Là, sur cette chaise de plastique où elle attend qu'on se souvienne d'elle, Aurélie se rend compte que la frontière entre les deux peut être ténue. Aussi mince qu'un fil. Ils n'exagéraient pas les Romains avec leurs Parques !
Une frontière aussi rapide à franchir que celle qui sépare l'enfance du monde adulte. Oubliée cette connerie d'adolescence ; aujourd'hui c'est dans le monde fait de responsabilités, de douleurs et d'angoisses qu'elle vient de plonger. En découvrant que son père est mortel.
Le monde vient de trembler sur son assise et tous les repères d'Aurélie sont en train de chavirer. C'est maintenant Marie qu'elle attend avec impatience. Cette présence grondante, usante, fatigante de conseils et d'ordres en tous genres est devenue son seul lien avec la vie.
Au-delà des portes battantes règne la mort. C'est par là qu'ils ont emmené le guerrier. Celui qui a joué avec la Camarde plusieurs fois. Peut-il encore la vaincre ? Ici, il n'y a pas de bruit, pas de balles qui sifflent ou de canons qui tonnent. Pourtant, l'odeur est la même ; celle de la peur, de la souffrance et de l'angoisse.
Les tripes qui se tordent, le cœur au bord des lèvres et la tête vide. Les blouses blanches ne sont que des fantômes qui luttent contre l'inévitable. Contre le passage. Inutiles horlogers d'un implacable mécanisme.
- Aurélie ! Aurélie ! Tu dors ? Réveille-toi, ma grande.
Le halo de lumière encercle le visage de Marie. Marie et le monde revenu. Marie qui porte la vie. Marie qui annonce la nouvelle :
- Ton père est hors de danger. Tu peux venir le voir quelques minutes.
Aurélie émerge de son monde hallucinatoire. Elle ne comprend pas comment elle a fait mais apparemment elle s'est bel et bien endormie dans ce couloir sinistre. Comme un robot, elle ramasse son manteau. Sa pèlerine plutôt. Celle qu'elle aime tant parce que les boutons sont remplacés par des sortes de petits bouts de bois qu'il faut passer dans une cordelette. Un système qu'elle imagine presque médiéval. En tous cas, beaucoup plus ancien que les boutonnières. Un système comme celui que pourraient utiliser les héros des histoires qu'elle s'invente.
Elle sait que ça n'a aucun sens mais quand elle rentre dans la chambre de Robert c'est à ça qu'elle pense : que la description des vêtements des personnages est importante pour permettre au lecteur de se projeter dans l'histoire.
Comme si penser à sa pèlerine pouvait la protéger de ce qui l'attend. Une grande pièce. Aux murs jaunes. Non, pas blancs : jaunes. Un appareillage compliqué. Des montants en métal et des tuyaux en plastique. Un bruit de source. Et au milieu, un homme. Petit. Tout petit.



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