jeudi 31 décembre 2015

CHAPITRE 16 : L’ARRANGEMENT

   Le lendemain, la petite fille se montra beaucoup moins souriante qu’à son arrivée. Pas vraiment triste, elle semblait seulement plus sérieuse, pensive, moins insouciante. Tous les domestiques l’avaient remarqué mais seule Marfa soupçonnait le lien existant avec les questions que se posait Marie à propos du passé d’Anissia. Elle en eut la confirmation lorsque la petite rentra de la promenade qu’elle fit ce matin-là en compagnie de Piotr à travers les rues de la ville. Le marchand avait décidé que ce serait leur dernier jour à Moscou et comprenant que Marie n’avait guère apprécié la ballade de la veille, il l’avait emmenée se promener sur les bords de la Moskova tout près du Kremlin. Lorsqu’il la redéposa à son palais avant de rejoindre ses bureaux, la petite l’embrassa et le remercia en l’appelant « Oncle Piotr ». Quand le maître fut reparti et que Marie se retrouva attablée à ses côtés, Marfa osa sa question.
   « Son Excellence a répondu à vos questions, n’est-ce pas, Barinia?   
   - Oui, Marfa.
   - On dirait que le maître n’est plus tout à fait le méchant homme que vous pensiez avoir découvert il y a quelques semaines.
   - Non, tu as raison. C’est un homme bon. Ma mère et lui n’ont pas su s’aimer. Se comprendre. C’est tout. »
   La petite passa ensuite un long moment à bavarder avec la gouvernante. Le soir commençait à tomber et les jumelles, Danka et Ludmila, venaient juste de finir la préparation du repas du soir quand Grigori pénétra dans la pièce. Le garde venait dîner avant tout le monde pour ensuite reprendre sa surveillance devant la porte de la cave. Marie réalisa soudain que c’était là sa seule chance de descendre parler un peu avec Liova. Ensuite la nuit viendrait puis au matin un autre garde remplacerait Grigori jusqu’à leur départ. Elle savait que le deuxième homme se trouvait selon son habitude en compagnie du portier ; personne ne lui barrerait le chemin.   

   Prétextant une envie de lire dans sa chambre, elle se retira quelques minutes après l’arrivée du garde. Elle se rendait maintenant compte qu’elle ne savait rien des intentions de Piotr concernant le prisonnier. Uniquement préoccupée de découvrir le passé d’Anissia, elle avait oublié son étrange compagnon de voyage. Poussée par une sorte de remords, elle dévala l’escalier, la porte n’était jamais fermée car la première pièce servait de réserve de nourriture, de remise pour le bois de chauffage et de cave à vin ; les domestiques devaient pouvoir y accéder facilement. Marie s’y faufila avant de laisser ses yeux s’habituer à l’obscurité. Dans le fond de la salle, derrière les rayonnages portant les précieux vins français de Piotr, une grille barrait l’accès à une deuxième pièce. La petite s’en approcha doucement, plusieurs torches illuminaient la grande salle mais leur lumière vacillante ne faisait que projeter de hautes ombres sur la roche des parois laissant la petite pièce totalement dans l’ombre.
   « Liova ! Liova ! Tu es là ?
   - Princesse ? Je croyais que tu étais déjà repartie ! »
   Marie retint un cri d’horreur. Elle arrivait devant la grille quand Liova s’en approcha à son tour. Amaigri, le visage mangé par une barbe naissante, les traits déformés par les hématomes liés aux coups reçus quelques jours plus tôt ; l’homme était presque méconnaissable. Il se rendit compte de l’effet qu’il produisait sur la petite fille et chercha à la rassurer.
   « Eh, Princesse ! C’est bien moi. Tout va bien.
   - Liova, on dirait que … Les gardes t’ont frappé ?
   - Non, Princesse. Ils n’osent plus. Ce que tu vois c’est en quelque sorte la preuve que mon visage guérit, les hématomes finiront par disparaître. Dis-moi, tu m’avais oublié ? Les gardes avaient réussi à me faire croire hier que tu étais déjà repartie avec Piotr Ivanovitch.
   - Jamais je ne t’abandonnerai. Oncle Piotr ne voulait pas que je t’approche ; c’est pour ça que les gardes restaient devant la porte.
   - Oncle Piotr ! Et bien dis-moi ! Vos relations se sont bien améliorées. Tu sais sûrement ce qu’il veut faire de moi, alors. »
   Une vague de culpabilité envahit la petite. Elle s’empara d’une des mains de Liova à travers les barreaux.
   « Liova, je suis désolée. Je … je ne sais pas. Nous n’en avons pas parlé.
   - Ce n’est pas grave, Princesse. Je …
   - DEHORS ! Tout de suite ! Montez immédiatement dans votre chambre, Mademoiselle ! Vous allez finir par apprendre à m’obéir. »
   Piotr venait de les surprendre et semblait plutôt furieux. Effrayée, Marie laissa échapper un petit cri avant de lâcher la main de Liova puis de tenter maladroitement de se défendre.
   « Oncle Piotr, je voulais seulement …
   - Allez m’attendre dans votre chambre ; je n’en ai pas terminé avec vous. Allez ! »
   La colère du maître de maison semblait être en train de retomber pourtant Marie sortit en tremblant. Une fois hors de la vue de Piotr, elle s’arrêta pourtant. D’abord pour essayer de se calmer un peu mais aussi parce que ce qu’elle venait d’entendre la sidérait : un bruit de serrure. Visiblement, Piotr avait ouvert la grille qui le séparait de Liova. Aucun garde n’était en vue et Liova, même affaibli, restait un homme extrêmement dangereux. La petite commençait à s’inquiéter pour Piotr ; après tout, Liova n’avait pas grand-chose à perdre à essayer de fuir. Ce qu’elle entendit la rassura un peu :
   « Vous ne manquez pas de courage, Excellence ! 
   - Nous avons à parler et j’aime regarder mes interlocuteurs dans les yeux. 
   - Et bien, parlons !»
   Marie aurait bien voulu en apprendre davantage mais Grigori risquait de redescendre prendre son poste à n’importe quel moment et il n’était pas question que Piotr découvre qu’elle l’espionnait. Elle montait déjà vers sa chambre quand elle entendit Grigori sortir précipitamment de la cuisine. De toute évidence, un autre garde venait de le prévenir de l’arrivée de Piotr.

   Elle attendit de longues minutes, à la fois inquiète et curieuse. Préoccupée par ce qui se déroulait à la cave et par ce qui se passerait bientôt pour elle. Consciente d’avoir vraiment mis Piotr en colère et désireuse d’obtenir son pardon au plus vite. Elle guettait ses pas dans l’escalier et se leva dès qu’elle entendit arriver.
   « Je suis désolée, Oncle Piotr ! Je sais que je vous ai désobéi mais je voulais seulement …
   - Ce que vous vouliez m’est bien égal, Mademoiselle. Ce qui importe c’est ce que je veux moi. Vous allez apprendre à m’obéir ; nous devons encore passer trois semaines ensemble et il n’est pas question que je passe mon temps à discuter avec vous du bien-fondé de mes décisions. »
   Marie tenta d’intervenir mais Piotr se montra inflexible.
   « Je ne veux pas vous entendre ! Si je vous avais interdit de revoir Liova c’est parce que je voulais que vous puissiez repenser à lui plus sereinement et ainsi mieux m’aider à décider de son sort. Votre désobéissance me montre que vous n’avez pas changé d’avis sur lui et que peu importe qu’il vous ait enlevée, effrayée, malmenée, vous lui avez pardonné et ne souhaitez en aucune façon le voir punir.
   - Je … 
   - Je t’ai dit de te taire. Je n’ai pas terminé. Je n’oublie pas que Liova est un meurtrier et qu’il voulait assassiner Sacha. Alors j’ai cherché une solution qui puisse nous convenir à tous les deux, à tous les trois devrais-je dire ; je viens d’en parler à Liova. Voilà ce que j’ai décidé ; je ne le livrerai pas à la justice mais je lui ai demandé de s’en remettre au jugement de Sacha. Il a accepté.
   - Ça veut dire qu’il va venir avec nous ?
   - Oui. Et je … »
   Cette fois, ce fut Piotr qui ne put achever ; la petite venait de se précipiter tout contre lui.
   « Je vous aime ! Je vous aime tant ! »
   Piotr la repoussa doucement.
   « Et moi, je suis toujours fâché.
   - Vous pouvez me faire tout ce que vous voulez. Je suis si heureuse. Je suis vraiment désolée de vous avoir désobéi mais je ne peux m’empêcher d’être contente pour Liova.
   - Je veux pourtant que tu réfléchisses à tes actes ; tu resteras enfermée ici jusqu’à demain. Marfa te montera de quoi manger tout à l’heure. Cela te donnera le temps de rédiger une lettre d’excuses.
   - Oui, Oncle Piotr, tout ce que vous voudrez.
   - A demain. »
   Sans un mot de plus, il fit demi-tour et, repoussant une deuxième fois Marie, referma la porte à clé derrière lui.

   La petite fille eut bien du mal à s’endormir tant elle était la proie d’émotions diverses ; intense soulagement de savoir Liova pratiquement hors de danger, remords persistant d’avoir désobéi à Piotr, excitation de retourner à Oblodiye pour y retrouver ses parents, satisfaction d’avoir découvert à la fois Moscou et une bonne partie du passé d’Anissia, inquiétude aussi à l’idée de rencontrer le prince Nikolaï. Le jour filtrant à travers les tentures l’éveilla doucement et ce fut donc en pleine possession de ses moyens qu’elle accueillit Piotr. En effet ce fut le maître de maison en personne qui vint la délivrer. Marie commença par lui tendre sa lettre d’excuses mais elle n’eut pas la patience d’attendre et se précipita contre lui.
   « Dîtes-moi que vous me pardonnez ! Je vous en prie ! Je suis si heureuse ! »
  La nuit semblait avoir considérablement adouci Piotr qui pour toute réponse déposa un tendre baiser tout paternel sur le front de Marie avant de l’entraîner à sa suite dans la cuisine. Là encore, une bonne surprise l’attendait ; libre, installé au milieu des domestiques, lavé, rasé de près, vêtu de neuf : Liova. La petite fille voulut se précipiter vers lui mais quelque chose dans le regard gris la retint ; elle se contenta de le saluer avant de s’asseoir.
   « Bonjour Liova. Je suis contente de te voir ici, de savoir que …
   - Bonjour, Barinia. Je suis heureux de refaire le voyage en votre compagnie. »
   L’étonnement qui se peignit sur le petit visage fut si évident que Liova ne put s’empêcher de sourire avant de s’expliquer.
   « Barinia, comme vous le savez, Son Excellence a eu l’immense bonté de m’épargner le knout en m’offrant de m’en remettre au jugement de votre parrain. A seulement deux conditions, ma parole de ne pas chercher à m’enfuir et la promesse de ne plus vous tutoyer. »
   Marie se tourna vers Piotr.
   « Oncle Piotr, vous … vous croyez en sa parole ? »
   Ce fut au tour de Piotr de sourire.
   « Pourquoi ? Je ne devrais pas ?
   - Si, bien sûr que si ! C’est juste que …
   - Liova a eu un argument de poids ; il m’a expliqué qu’il ne pouvait pas te décevoir après tout ce que tu avais fait pour lui. »

   Le voyage de retour fut des plus agréables pour Marie ; confortablement installée dans un carrosse aux côtés de Piotr, elle l’écoutait avec ravissement raconter aussi bien les petits bonheurs de son enfance que les hésitations et les aventures de sa jeunesse. Liova, lui, tenait compagnie au cocher tandis que les gardes encadraient à cheval la voiture. A vrai dire, Piotr avait tout fait pour éviter un contact trop rapproché entre ses hommes et leur ancien prisonnier ; il se doutait que les premiers ne s’étaient pas montrés très tendres et craignait que des querelles n’éclatent. Gorislav, en particulier semblait en permanence sur le qui-vive, au point d’en devenir extrêmement nerveux. Liova s’amusait beaucoup de la situation, multipliant les rencontres et les frôlements lors des haltes pour mieux ignorer son adversaire par la suite. Il savait pertinemment qu’il avait tout à perdre à provoquer une bagarre et n’avait aucune intention de le faire mais ne pouvait s’empêcher d’énerver Gorislav.
   Ce qui devait arriver arriva. Un soir, alors que tous venaient de mettre pied à terre devant l’écurie de l’auberge, Liova trainait auprès des chevaux du carrosse, semblant attendre que Gorislav mette pied à terre. Poussé à bout par plusieurs jours de provocations, fatigué par les nombreuses heures passées à cheval, celui-ci empoigna le poignard qui ne le quittait jamais et s’avança vers lui, menaçant. Grigori et Nikita s’écartèrent, peu désireux de se mêler de l’altercation.  
   « On va régler ça tout de suite ! Je vais te crever, pourriture ! »
   Le regard couleur d’ardoise de Liova ne vacilla pas une seconde. Au contraire, narquois, il se planta dans celui de Gorislav.
   « Je t’attends. »
   Tout alla très vite. Marie qui descendait avec Piotr du carrosse se mit à crier.
   « Liova, s’il te plaît ! Non ! Tu as promis de changer.
   - Princesse, je n’y suis pour rien. Je ne suis même pas armé. »
   Pour confirmer ses dires, Liova élevait ses mains vides au-dessus de sa tête quand Gorislav en profita pour se ruer sur lui. L’espace d’un instant, la petite fille crut que la lame avait atteint son but ; quand Liova s’écarta, sa chemise était maculée de sang. Pourtant, très vite, ce fut Gorislav qui s’effondra. Marie s’apprêtait à se précipiter vers celui qui était maintenant son ami pour s’assurer qu’il n’avait vraiment rien quand elle remarqua que quelque chose d’étrange était en train de se produire. Au lieu d’attendre posément ou de s’essuyer calmement les mains comme elle l’avait vu faire après l’épisode du vagabond ou de la bagarre à l’auberge, Liova semblait chercher quelque chose du regard. Marie en fit autant en commençant machinalement par le garde qui gisait sur le sol. La surprise la cloua sur place ; un fin stylet avait transpercé le dos de Gorislav, le tuant net. Quelqu’un venait de sauver la vie de Liova ! Ni Nikita, ni Grigori n’étaient intervenus, Marie n’aurait pu manquer de les voir, les autres gardes se trouvaient de l’autre côté du carrosse ou à l’extérieur de l’écurie … le mystère semblait total quand la petite vit le regard de Liova se poser sur elle. Elle ne put s’empêcher de sourire ; comment son ami pouvait-il penser qu’une enfant comme elle était capable d’un tel prodige ? Puis elle comprit. En se retournant, elle croisa le regard couleur noisette de Piotr ; elle eut alors l’impression, l’espace d’un instant, que la douceur habituelle avec laquelle il la regardait était comme une grande vague qui venait tout juste de recouvrir quelque chose de beaucoup plus sombre et secret.   
   Enjambant le corps de Gorislav, Liova s’approchait maintenant d’eux. Marie qui commençait à bien le connaître, remarqua tout de suite que le respect qu’il montrait à Piotr depuis l’épisode de la cave se teintait maintenant d’une réelle admiration.
   « Excellence, je vous dois la vie.
   - Ne me dis pas que tu doutes de tes propres capacités.
   - Il n’avait rien d’un balourd de moujik ; c’était un homme dangereux et j’avoue qu’il m’a surpris. Je ne pensais pas qu’il oserait m’attaquer devant vous.
   - Tu es pourtant observateur et intelligent. Il est vrai que je le connaissais mieux que toi au point de l’avoir même personnellement mis en garde contre ce genre de provocation. Je paye ces hommes à prix d’or pour qu’ils me protègent, pas pour qu’ils se battent entre eux.
   - Après ce que je viens de voir, Excellence, je doute que vous ayez besoin de qui que ce soit pour vous protéger.
   - On ne peut pas toujours compter sur l’effet de surprise, Liova. La dissuasion est presque toujours la meilleure solution.
   - Je pense que vous venez de dissuader tous ceux qui vous entourent de jamais vous désobéir. Y compris moi.
   - Je suis heureux de l’apprendre. Emmène Marie à l’intérieur, j’ai des ordres à donner. » 

   Le reste du voyage se déroula sans incident et la petite troupe avait déjà pénétré sur les terres du Comte Simonov depuis un bon moment quand Piotr fit arrêter la voiture. Il ordonna alors à Liova de les rejoindre, Marie et lui, à l’intérieur puis attendit que le cortège ait repris son allure normale pour s’adresser à son « invité».
   « Alors, toujours prêt à tenir ta parole ?
   - Oui, Excellence. Quelle que soit la décision d’Alexandre Ivanovitch, je m’y plierai.
   - J’ai réfléchi et je pense qu’il vaut mieux que ceux d’Oblodiye ne te découvrent pas tout de suite. D’abord parce que cela gâcherait le plaisir des premiers instants des retrouvailles en attirant l’attention sur quelqu’un d’autre que sur Marie. Ensuite parce que cela pourrait être dangereux pour toi ; Monsieur de Fronsac et mes frères pourraient avoir des envies de vengeance que, dans le feu des embrassades et sous le coup de l’émotion, je ne serais pas à même de maîtriser.
   - Je vous suis reconnaissant de penser à ma sécurité en un tel moment, Excellence.
   - Voilà ce que j’ai donc décidé. Tu sais qu’à Oblodiye les nouveaux arrivants descendent de voiture devant le perron et pénètrent dans le château en laissant leur cocher en faire le tour pour rejoindre l’écurie qui est située derrière. Quand nous descendrons, Marie et moi, tu resteras caché dans la voiture que tu accompagneras jusqu’à l’écurie. Ensuite, tu n’auras plus qu’à revenir par l’arrière comme le feront les gardes.
   - Je suivrai scrupuleusement vos ordres. Excellence … »
   L’homme semblait sur le point de vouloir ajouter quelque chose. Des remerciements, songea Marie. Mais pas un mot de plus ne réussit à franchir ses lèvres ; il était seul depuis bien trop longtemps et surtout il avait perdu l’habitude de faire confiance, de dépendre de quelqu’un. Piotr qui devait le comprendre conclut l’entretien par un hochement de tête. Après avoir quêté du regard son approbation, Marie s’empara d’une des mains de Liova.
   « Tout ira bien, je leur expliquerai, ils comprendront.
   - Oui, Barinia. Je sais. J’ai confiance. »  
   Le reste du voyage se déroula en silence, chacun des occupants du carrosse laissant libre cours à ses pensées. Si Marie imaginait assez bien que celles de Piotr se tournaient vers la femme et les fillettes qu’il avait abandonnées pour partir à sa recherche et qu’il allait enfin retrouver, elle avait du mal à deviner ce que pouvait ressentir Liova. De la peur ? C’était difficilement envisageable. Des regrets ? Peut-être. De l’espoir ? Que pouvait bien espérer un homme tel que lui ? 

   Quant à elle, elle devait bien se l’avouer ; l’immense joie qu’elle ressentait à l’idée de revoir ses parents n’éclipsait pas tout à fait sa crainte de devoir à présent affronter le prince Nikolaï. Les deux mois qui venaient de s’écouler l’avaient fait mûrir et elle comprenait maintenant que tout n’était pas aussi simple qu’elle avait voulu le croire. La frénésie qui la poussait à tout connaître du passé de sa mère avait été définitivement calmée par la découverte de la façon dont Piotr avait vécu ces événements et avec le recul elle commençait à se dire qu’elle aurait préféré continuer à tout ignorer. La seule idée que le prince Pavelski était peut-être son vrai père la mettait hors d’elle. Même s’il lui avait fait du mal, au moins Piotr avait profondément aimé Anissia alors que cet homme n’avait fait que profiter d’elle et de sa jeunesse avant de l’abandonner à son triste sort. Pourtant quelque chose la poussait toujours à essayer de savoir alors même que tout son être s’y refusait. Le mariage avait certainement été repoussé afin de les attendre Piotr et elle mais le prince était évidemment déjà arrivé. Tout ce qu’elle pouvait souhaiter c’était qu’il attendait tranquillement chez lui à Orenbourg à plusieurs verstes de là. Elle était en train d’adresser au Ciel une fervente prière en ce sens quand l’imposante silhouette d’Oblodiye apparut au détour du chemin.

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