dimanche 6 décembre 2015



LE VENT DANS LES FEUILLES MORTES
     Aurélie remonte l’avenue de Blossac. L’automne étend son manteau virevoltant de rouge et d’or mêlés. Sur les côtés de la promenade, orgueil de la vie Saint-Maixentaise, les arbres tendent leurs branches dénudées vers le ciel. Un dome gris, fantasque, assorti aux toîts d’ardoise des maisons de l’avenue, plane sur la ville. 
     La petite fille sautille, insouciante. Chez elle, pas de déprime saisonnière. Pas de sentiment de fuite du temps qui passe. De peur de l’enfermement de l’hiver. Au contraire, elle se sent pousser des ailes. Pour la première fois, elle a le droit d’aller à l’école seule ; elle a tout de même huit ans ! Il a même fallu que l’un de ses petits frères attrape les oreillons pour que Marie se laisse fléchir et reste à la maison. Enfin sur le seuil et après mille recommandations. 
     Bien inutiles ; une seule rue à traverser, juste à côté de la Porte Châlon, unique vestige des anciens remparts de la ville. Pas besoin de surveiller à droite, à gauche. Aurélie peut se consacrer à ce qui fait l’essentiel de sa vie : rêver. Inventer, imaginer. Comme si la vie ne lui convenait pas vraiment, comme si le vide de certains instants pesait insupportablement sur ses épaules, elle s’évade. L’imagination est son domaine, territoire de la fantaisie, du possible non réalisé, de l’extraordinaire à portée de main.
     Concentrée pendant le temps scolaire, Aurélie ne touche plus terre dès la sortie. Absorbée en permanence par l’élaboration d’un univers peuplé d’invraisemblables héros. Inventant mille intrigues, de multiples rebondissements, de nobles motifs ou de basses envies. Répétant encore et encore une scène jusqu’à atteindre la perfection. 
     Pour une petite fille aussi fantasque, les mots «bourrasques», «vent» ou «automne» ne sauraient suffire ; il faut que les feuilles soient animées. Dotées d’une volonté même. Mais pas d’une vie qui leur serait propre, non, elles doivent répondre à ses désirs à elle, Aurélie.

     Et c’est ainsi que, pendant qu’elle chemine le long du trottoir, elle soulève des tourbillons de vie mordorés, des « sorcières » qui agitent leur chevelure d’humus, des fantômes rouges et bruns. A chaque seconde, elle anticipe, devinant pour mieux insuffler la vie. Tendue, toute à sa recherche, à sa création, elle fend l’espace, déesse du vent, maîtresse des arbres, princesse des feuilles mortes.

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