mardi 8 décembre 2015



LES HORDES DE LOUPS DU BOIS ROULAS
     C’est un endroit très dangereux ; juste après le gros rocher qui déborde sur le chemin, c’est souvent là qu’ils attaquent. Nikolaï et son fidèle Vania ont à chaque fois toutes les peines du monde à s’en débarrasser : des loups. Les terribles loups qui hantent les forêts russes de l’imaginaire d’Aurélie. 
     Pourtant la vieille femme qui marche devant elle ne semble guère impressionnée. Il faut dire que le bois Roulas, elle le connait par cœur ; c’est le passage obligé pour aller retrouver sa chère amie Valentine. D’abord, il y a la longue montée du chemin du calvaire, puis la traversée de la grande plaine et tout au bout le bois. Quand on en ressort, on aperçoit déjà les premières maisons du village de Souvigné.
     Cela fait des années que Cécile fait le chemin à pied depuis Nanteuil. Valentine, elle, vient moins souvent ; il lui est difficile de laisser son fils paralysé seul. De toute façon, Cécile adore se promener dans la campagne. Marcher est même pour elle plus qu’un moyen de retrouver son amie : un plaisir, un besoin vital. L’âge ne semble pas avoir de prise sur elle ; à soixante-quatorze ans elle devance allègrement Aurélie qui n’en a que treize. 
     C’est Jean qui, en fils soucieux de la sécurité de sa mère, a proposé l’idée ; que Cécile se fasse accompagner par sa petite-fille, celle qui lui ressemble tant d’après ceux du village : Aurélie. Fière de la confiance témoignée par son père, la gamine a accepté. Par affection pour sa grand-mère aussi bien sûr. Parce que ces promenades lui permettent également de fuir pour un temps l’agitation de la maison. Et qu’elles lui offrent un nouveau cadre pour ses aventures. 
     La longue plaine venteuse de « la pierre levée », en fait un dolmen dont l’un des supports est effondré, se transforme en taïga. Couverte de neige bien sûr. De cosaques aussi parfois. Il faut dire que Nikolaï est un homme très occupé, un officier de l’armée du Tsar et que le souffle des batailles s’accommode plutôt bien de ces hautes herbes sans cesse en mouvement.
     Elles cheminent ainsi toutes les deux, tantôt discutant gaiement tantôt perdues dans leurs pensées. Tandis que sa grand-mère, toujours vêtue de son imperméable gris et de son foulard noué sous le menton, ouvre la marche, Aurélie suit, le corps en France et la tête en Russie. Les loups attaquent les deux voyageurs qui osent s’aventurer dans les profondeurs du bois mais la vieille dame et sa petite-fille finissent toujours par arriver. 
     La maison de Valentine est une ancienne ferme et l’on doit parfois repousser du pied les poules qui veulent pénétrer dans la cuisine mais c’est une arme bien plus terrible encore qui attend les insectes qui bravent l’interdit : le papier tue-mouches. De longs rouleaux qui s’enroulent sur eux-mêmes, entrainant les inconscients dans leur sillage gluant de mort. Pour Aurélie, les visites à Souvigné ce sont d’abord ces pièges qui pendent du plafond, la petite mare devant la maison, l’escalier extérieur menant au grenier. L’escalier du château d’Orenbourg, demeure du célèbre prince Pavelski, c’est là qu’Aurélie s’installe le plus souvent. Laissant Cécile et Valentine évoquer encore et encore leur jeunesse commune, la gamine reprend patiemment le fil de son histoire, peaufinant le caractère des personnages, élaborant de nouvelles aventures. Il n’y a jamais de répit pour le prince et son fidèle compagnon Vania.

     D’ailleurs, une fois le café du « quatre heures » avalé, les deux hommes devront reprendre le chemin du retour, s’armant une fois de plus de courage pour affronter l’inévitable attaque des hordes de loups du bois Roulas.

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