mercredi 9 décembre 2015


MA PLUS GRANDE VICTOIRE



SAMEDI 15 DECEMBRE 13H
    Dans trente minutes ma voisine va venir sonner à ma porte et je ne pourrai plus rien y faire. Depuis plusieurs jours déjà l'angoisse monte. Avec les inévitables questions. Pourquoi me suis-je mise dans cette galère ? Est-ce que j'ai vraiment besoin à mon âge de régler cette question de l'eau ? En quoi cette peur me gâche-t-elle vraiment la vie au quotidien ? La logique me crie que non ; que malgré elle j'ai été capable d'accompagner mon fils dans son plaisir à être dans l'eau, que jamais je n'ai renoncé à une promenade en bateau ou même en barque. Impossible pourtant de nier la frustration ressentie à voir les autres s'amuser à la mer ou dans une piscine sans pouvoir partager leurs jeux. Est-ce vraiment là ma seule motivation ? Une frustration épisodique ressentie tout au plus une fois par an l'été ? Je sais ou plutôt je sens qu'il y a bien d'autres choses derrière tout ça. Des choses qu'il est temps de régler. 
SAMEDI 14H30
Nous sommes en avance. Bien évidemment. Comme tous les angoissés. Ils sont tous en avance. L'odeur du chlore ne les a pas fait fuir eux non plus. Une femme en peignoir vient à notre rencontre. Véronique. Je sais qui elle est : je l'ai vue sur Internet quand je me suis renseignée sur l'association. Son discours m'inspire tout de suite confiance. Elle plaisante en disant que le système de chauffage de la piscine est tombé en panne, qu'elle sait que c'est ce que nous voudrions tous entendre, qu'ainsi nous pourrions rentrer chez nous, fiers d'avoir eu le courage d'être venus -et à juste titre- et soulagés de nous en tirer à si bon compte. 
Nous sommes maintenant dans les vestiaires. Ici pas de casiers. Tout est fait pour éviter tout stress supplémentaire. Pas de numéro ou de code à retenir. Nous pouvons même apporter nos sacs au bord de l'eau si ça nous rassure. Aller prendre une douche, nous reposer, arrêter un exercice, le reprendre, passer d'un atelier à l'autre, accepter ou refuser les propositions qui vont nous être faites... Le mot d'ordre ici c'est le respect. Ce que nous n'avons pas eu jusqu'à présent. La liberté de décider aussi. Un des mots qui vont résonner dans ma tête pendant tout le stage. 
SAMEDI 15H
Le stage commence. Dans l'eau. C'est là que Jean-Pierre, l'autre fondateur de l'association nous attend. Là qu'il nous invite à le rejoindre. Pour ce qu'il appelle une écoute flottante. Nous voici équipés par les animateurs -qui en profitent pour se présenter au passage- de "frites"ou de planches. Il y a 80 cm d'eau -tropicale à 32 degrés- et on nous invite à nous y laisser bercer. Le discours me convainc, le fait que Jean-Pierre ait lui aussi été poussé dans l'eau et que la moitié de l'équipe ait eu à affronter la même phobie que nous tous aussi. L'idée maitresse selon laquelle nous devons oublier tous nos réflexes de "terrien" est déstabilisante mais logique tout comme celle qui explique que la clé est le "lâcher-prise". Une idée qui fait écho à ce que tous attendent. A la question : " Combien parmi vous pensent que derrière cette peur se cachent bien d'autres choses ?" c'est une marée de mains levées qui a répondu. Nous allons devoir nous laisser porter, nous laisser aller ? Prendre du plaisir.
Pour l'instant on est loin du compte. La position est inconfortable. Trop d'eau pour y être à genoux, nous sommes accroupis pour la plupart, incapables de nous "asseoir" en nous laissant porter par nos "aides". Tout au plus osons-nous y poser notre visage. Certains comme moi acceptent la caresse de l'eau sur leurs lèvres. Guère plus.
SAMEDI 16 H
Nous commençons nos ateliers. Ils ont dit qu'avant la pause de 18h nous aurions tous, non seulement mis la tête sous l'eau, mais aussi chanté, posé les mains au fond et que nous nous serions laissés glisser sur le ventre avec des brassards. Du délire ! Et pourtant...j'ose y croire. Il y a quand même loin de la théorie à la pratique. Bien sûr que je sais que je ne vais pas me noyer si je mets la tête sous l'eau mais mon corps, lui, faute de l'avoir expérimenté n'en est pas sûr. Je sais aussi que je ne suis pas folle pour autant. Je sais ce que l'esprit humain est capable de faire. Personne ne peut prétendre comprendre ce qui se passe en nous à ce moment-là. A moins de l'avoir vécu. Comme eux. 
J'inspire. D'abord, il faut juste mettre le visage. Et rester centrée sur moi. Une autre des clés : ici il n'y a plus de compétition, plus de comparaison. Chacun à son rythme c'est la règle. Plus besoin d'obéir au prof, plus d'autres élèves qui y arrivent, eux. Une image comme un flash. Celle d'une enfant de onze ans, si maigre dans son maillot de bain, si fragile face à ce grand bain sans fond où elle va devoir plonger avant de rattraper la perche que lui tend le moniteur. Et cette poussée dans le dos de cette connasse de prof d'EPS. La mort bleue. Une peur bleue. Le bruit dans les oreilles jusqu'à la fin de ma vie. L'eau partout. Dans le nez, la bouche, les yeux, la gorge. Le goût du chlore à tout jamais. 
Mais je ne suis plus cette Sylvie-là.  D'abord, j'aime enfin mon corps. Après toutes ces années ! La planche à pain, la grande bringue à lunettes n'est plus. Le martyre des cours de sport où l'intello se retrouve enfin en difficulté pour le plus grand bonheur des autres a pris fin. Tout à l'heure j'ai croisé mon reflet dans le miroir des toilettes. Loin de fuir l'image de ma silhouette j'ai pris du plaisir à m'observer. Et j'avoue même avoir pensé " Quelle bombe ! Pas mal pour 53 balais !". Fière de ces seize kilos perdus, de ces seize mois passés à reprendre ma vie en main. A me réapproprier mon corps. Ou plutôt à l'écouter enfin. Après le choc du constat, la décision d'en finir avec les régimes, de me remettre à bouger tout simplement. De m'aimer peut-être.  
Ici j'ai droit à tout ce dont Sylvie a été privée : tout ce qui peut me rassurer. Brassards, lunettes, bonnet, pince-nez...Et surtout du temps. JE DECIDE QUAND. Me bouchant le nez d'une main, je mets le visage dans l'eau. Les lunettes spéciales, adaptées à ma vue me sont d'une grande aide. Dos contre le mur de la piscine, je souffle tranquillement en regardant mes pieds. Cette étape ne m'impressionne pas : pour l'avoir pratiquée plusieurs fois je savais que je pourrais la refaire. 
La deuxième, par contre, me perturbe : il va falloir mettre toute la tête sous l'eau. J'ai choisi de ne pas mettre mon bonnet ; le bruit du liquide qui s'infiltre dans mes oreilles est bien le même. Celui que je déteste. Celui qui me terrifie. Impossible d'entendre la musique. Je me relève aussitôt. A la limite de la panique déjà.  Autour de moi les visages sont tendus : nous sommes bien dans le vif du sujet. Seuls ceux de Veronique et d'Hélène nous sourient. L'une après l'autre, les femmes qui composent mon petit groupe de six retentent l'expérience. Encore et encore. Et on souffle. De petites bulles. Bien calmement comme pour faire vaciller une bougie. Doucement, tranquillement, en relâchant la nuque. Oui, Véronique, pour le style on verra... Sauf qu'il n'est pas question de style mais d'acceptation. De plaisir. De faire céder les tensions. 
Effet de groupe ? Voix rassurante ? Mise en confiance ? Conscience des enjeux ?  D'être en train d'abattre une de nos dernières cartes ? Nous cédons toutes à l'appel des sirènes qui chantent sous la surface. Une douce chaleur m'envahit. Mon angoisse était telle que je n'osais m'autoriser que de petits objectifs. Réussir à mettre toute la tête sous l'eau me semble être un aboutissement. Ce n'est qu'un début.  
Maintenant c'est nous qui allons chanter. De nouveau, nous suivons la proposition de Véronique.  Frère Jacques. Puis Au clair de la lune. Bouche ouverte : et non l'eau n'entre pas ! Je m'entends ! Je m'entends chanter ! Je n'arrive pas à y croire ! L'euphorie gagne. Mais nous n'allons pas nous arrêter en si bon chemin
Maintenant, il est question de nous allonger sur l'eau. De commencer à comprendre que nous flottons naturellement. Aïe ! Se lâcher encore et toujours. Impossible ! L'image même me fait frémir : un abandon total. Mon corps abandonné. Ma tête plongée dans le liquide... Pas de panique. Une corde le long du mur. Nos mains peuvent s’accrocher. Première impression d'être bercée. Maternée. Régression vers le liquide amniotique dont parlait Jean-Pierre tout à l'heure. Mettre la tête sous l'eau devient un réflexe. Je vois même avec amusement les jambes des participants d'un autre groupe plus loin. On nous apprend à nous relever en posant les pieds d'abord avant de relever la tête. LA clé. Être sûre de pouvoir se relever pour oser s'abandonner. Question de maîtrise. De pouvoir. Quelqu'un nous a enfin jugés dignes de posséder ce contrôle sur nous-mêmes.  
La pire des souffrances pour moi c'est l'impuissance. Chaque fois que j'y ai été confrontée, la même rage, le même désespoir m'ont envahie. Des sentiments negatifs dont l'origine se situe probablement dans cette première expérience à la piscine de Saint-Maixent, ce jour où personne n'a jugé bon de protéger Sylvie de la bêtise des adultes. L'obligeant à subir. Des situations d'impuissance j'en ai vécues bien d'autres, depuis les plus anodines face à une hiérarchie stupide par exemple jusqu'aux plus dramatiques d'une véritable agression physique mais ici et maintenant c'est moi qui ai le pouvoir de décision. Et ça change tout. 
Poser une main sur le sol ? Oui. Les deux ? On va le tenter. Panique. On se relève puisqu'on sait le faire. Et on recommence. Encore et encore. Inspirer. Souffler tout doucement. S'allonger. Poser une main. La deuxième. Plier les genoux. Poser les pieds. Se redresser enfin. Comme une mécanique qui peu à peu se met en place. Quoi ? On va devoir le faire dos au mur ? Sans la sécurité de la corde toute proche ? Eh oui...
En place. Mais ici un autre mot clé c'est "sécuriser". Tout s'autoriser pour se sentir  à l'aise. Foin du regard des autres ! D'ailleurs l'expérience nous montrera que ceux qui se sentent à l'aise un jour ne le sont plus forcément le lendemain, qu'un exercice peut être facile pour nous et pas pour quelqu'un d'autre et vice-versa. Un seul objectif : le plaisir. Et tant pis s'il me faut un pince-nez et pas moins de SIX brassards pour me lancer !!!
Le bonheur. Tout simplement. Je parle à l'eau ! La prie de me porter. Encore et encore. Elle m'enveloppe. Me berce. Console l'enfant en moi. Répare. Reconstruit. Restaure la confiance. Panse mes blessures. Quatre. Deux. La pause-goûter me trouvera euphorique et lestée seulement de deux brassards. 
SAMEDI 18H30
Le goûter a eu une saveur de victoire. Un goût de récompense. D'enfance. De régression. Au bon sens du terme bien sûr. Après la pause, fières de nous, nous nous lançons presqu'à l'assaut de l'eau. Pour être stoppées net. L'estomac chargé serait-il un frein à notre apprentissage ? Pas au sens où nous l'entendons. Il semblerait que nous ayons effectivement des choses à digérer : des émotions. Et pour la première fois nous comprenons que cet apprentissage - comme bien d'autres - n'a rien de linéaire, qu'il nous faut revenir sur nos pas pour avancer plus loin ensuite. Comme d'éternelles retrouvailles. Un protocole ? Sans doute pas mais une sorte de rituel. De reconnaissance. De re-connaissance? De re (co) naissance. Oui comme une nouvelle naissance en commun. 
Visage.Tête en entier. Entrainement pour se relever. Avec brassards. Tout l'atelier précédent défile. En accéléré. Puis...plus de brassards. Pendant près d'une heure nous allons nous laisser glisser sur le ventre. Avec un seul objectif. Ni plus loin, ni plus vite, ni plus fort. Juste : le plus de plaisir possible. Il n'y a plus de bruit dans mes oreilles, seulement de la musique. Plus de stress. Rien que du bonheur. Je me laisse aller à la caresse de l'eau. A sa chaleur. 
SAMEDI 20H
Il faut presque nous sortir de l'eau tellement notre plaisir est grand. L'euphorie qui m'a gagnée ne me quittera plus de la soirée.

DIMANCHE 12 H
Aujourd'hui, le stage commence à 13h30. Nous connaissons le chemin, les gens, la piscine ; plus besoin d'arriver en avance : nous ne partirons qu'à 12h30. Je devrais me sentir à l'aise, fière de mes exploits mais justement non : je continue à apprendre. Comme dans tout apprentissage, les choses continuent à la maison. La nuit, le cerveau enregistre, trie, emmagasine, gère ce qu'il a appris dans la journée. Et dans le cas présent ce qu'il y a à apprendre est complexe. Pas du domaine du cognitif mais de l'intuitif. Pas des connaissances mais des sensations. Et la peur en fait partie : il faut la revivre pour la dominer. D'ailleurs dominer n'est pas le mot ; il faut au contraire laisser aller. Cesser de penser que l'on doit tout maîtriser, en finir avec cette obsession de vouloir vaincre ces faiblesses, de tenir bon, de se montrer forte. Ici, comme partout d'ailleurs, la force ne sert à rien. Ce qu'il faut c'est S' ACCEPTER. Accepter. Accepter l'autre. La vie. Être la meilleure ne sert à rien. Il faut juste ETRE. 
DIMANCHE 14H
Nous sommes de nouveau au bord de la piscine. Juste les pieds dans l'eau. Parce qu'ils savent que nous avons encore plus peur qu'hier. Parce qu'ils doivent ré-expliquer, rassurer, déculpabiliser, montrer, prouver. Encore et encore. De nouveau les ateliers. Et la confirmation : l'impossibilité de se lâcher. L'obligation, la frustration de devoir tout reprendre de zéro. A peine le retour au plaisir de la veille a-t-il été obtenu que l'on nous en propose encore plus. Ils savent. Vraiment. Leur timing est impeccable. Maintenant nous allons imiter Véronique : nous laisser flotter sur le dos puis basculer la tête en avant et laisser passer les jambes pour nous retrouver sur le ventre. Ensuite il faudra faire la même chose sur le côté. Elle fait ça avec une aisance !!! 
Moi, rien que la première étape, sur le dos, me laisse sceptique. La sensation d'abandon y est encore plus forte. Seulement maintenant je sais. Il faut que je me sécurise : c'est juste une étape-nécessaire et obligatoire- avant de pouvoir le faire sans rien. Alors j'y vais à fond : bonnet contre le bruit du tourbillon de l'eau, pince-nez, brassards. Et surtout je vérifie avant que je sais toujours me relever : bras ramenés en arrière, genoux pliés, pieds posés et tête sortie en dernier. Combien de fois Véronique m'a-t-elle répété : "je ne monterai jamais dans ton avion tant que le pilote s'éjectera avant d'avoir sorti le train d'atterrissage !". Et ça a marché. Comme l'histoire de la nuque qu'il faut détendre.
Et on commence. Et là c'est la surprise : dès le début je me sens à l'aise. Je me fie à mon instinct, à mes sens. Ça marche tout de suite. Dans un sens, dans l'autre. Aucun problème. J'enchaîne les figures. Je me rêve sirène. Ballet aquatique et tutti quanti. Pourtant comme d'habitude mes mauvais réflexes reprennent le dessus : j'en veux plus. J'ai enlevé les brassards et le bonnet et j'enrage de ne pas être capable de me passer ... du pince-nez. Cette fois c'est Hélène qui me "calme" en me remettant les idées en place. Tout simplement en me racontant son histoire. Deux trimestres passés à prendre des cours avec l'association (au lieu d'un week-end on peut venir un soir de la semaine pendant deux heures), un séjour avec eux pour faire de la plongée. Des progrès fabuleux évidemment. Puis l'erreur : en vouloir plus. Ne plus penser au plaisir mais juste à la volonté. Se vouloir forte. A tout prix. Ne plus s'accepter. Et de nouveau la panique. Tout devoir reprendre de zéro.  
Ok j'ai compris. Je prends mon temps et je garde mon pince-nez. Je fais même une petite pause. Juste pour savourer l'instant. Me rendre compte.
Ensuite on reprend les "glissades"sur le ventre. Cette fois avec début de mouvements de natation. Grands mouvements des bras façon brasse ou façon crawl, battements des pieds. J'essaie tout et opte rapidement pour ces derniers. Je me fixe des objectifs à l'aide des lignes du carrelage. Me surprends encore et encore. Remercie Dieu de me permettre de vivre ça. Remercie l'eau de me porter, de m'accueillir. N'en finis plus de goûter le bonheur. 
Avant le goûter justement, ils en "remettent une couche" à propos de l'émotion qu'il faut absolument laisser s'exprimer. Oublier ce que l'on a appris depuis l'enfance. Pleurer n'est pas une faiblesse mais une force. Ça il y a longtemps que je le sais mais ils disent que l'on apprend encore plus vite une fois ce cap franchi. Je comprends qu'ils veulent nous emmener dans le grand bain et j'ai même l'impression que Véronique me sent prête à me lâcher dans tous les sens du terme. 
DIMANCHE 17 H 30
"Qui a peur d'aller dans le grand bain ? " Quatre mains sur six. Dont la mienne. "Qui refuse d'y aller ? " Deux mains. J'ai gardé la mienne baissée. Il est temps d'affronter le monstre des profondeurs. La totale question équipement.  Quatre monitrices en tout. Pour quatre apprenties. Ça devrait aller !!! Comme "d'habitude" : visage sous l'eau d'abord. La surprise de voir mes pieds pas si loin que ça du sol. Deux mètres ça parait beaucoup mais ce n'est pas tant que ça : un bon coup de pied au fond et on doit remonter vite fait. Oui, bon, il ne faut pas commencer à se croire capable de tout. Rester humble. Confiante mais humble. La tête ensuite. Parfait. Lâcher la corde. HEIN ? Mais ça va pas, non ? C'était juste histoire de dire que l'on avait été dans le grand bain... Ben non. Apparemment, elles sont sérieuses.  Ok. Les mains au-dessus de la corde. On lâche. Je flotte. DANS LE GRAND BAIN. J'ai survécu. Sylvie a survécu. 
L'ÎLE. Quoi, l'île ?  Me laisser flotter jusqu'à l'île ? Mais pourquoi moi ? Elise et moi. Ok pour Elise. J'ai envie. Peur et envie et Véronique le sait. Elle insiste. A côté de moi. Je mets mes mains dans les siennes. Et je me lance. Il y a à peine deux mètres et je ne sais même pas si j'ai flotté ou si je me suis laissée tirer par Véronique. L'essentiel n'est pas là. Je suis au milieu du grand bain et je suis SEREINE. En tous cas pour retourner à l'échelle je flotte. 
Retour dans le petit bain. Je vais tout "déchirer" c'est sûr puisque j'ai pu regarder le monstre au fond des yeux et y survivre. Et ben ... NON. Impossible de mettre la tête sous l'eau et encore moins de me lancer sur le ventre. Et ça m'étonne. A croire que je n'ai rien écouté de ce qu'ils nous ont répété encore et encore. Il faut d'abord digérer les émotions. Et là, côté émotions, je suis servie. De la compassion pour l'enfant que j'étais, de la colère face à la bêtise des adultes, de la rage face à l'impuissance, de la tristesse face à tout ce temps perdu. Les larmes viennent enfin. Suivies de...Véronique. Evidemment. Elle a l'habitude. On dirait presque qu'elle s'y attendait. Ce qu'elle dit c'est que c'est une bonne chose ; qu'il fallait que je dépose mes "valises" afin de repartir plus légère, que ce stage n'est pas la fin, juste une clé, un début, une nouvelle façon de considérer l'eau. Que maintenant c'est à moi de poursuivre le chemin en choisissant des piscines avec un vrai petit bain, avec des gens prêts à m'aider vraiment, à des heures calmes, en prenant le temps de me sentir en sécurité,  en oubliant les défis,  la pression, en ne pensant qu'au plaisir...que maintenant je vais apprendre encore plus vite parce que je sais que tout est basé sur mes émotions.  
Je comprends que je ne dois pas insister, pas me forcer. Qu'à plus de quarante ans d'écart, Sylvie vient de m'envoyer un message. Un message qui dit MERCI. Un message que je dois prendre le temps de savourer, de recevoir comme il convient. Alors que je m'attendais à retrouver au fond de l'eau les visages de ceux que j'aime, la seule personne qui m'a accompagnée ça a été elle, cette enfant si malmenée.  
Alors je reste là, le dos appuyé contre le mur, le corps dans cette eau si délicieusement chaude, le regard posé sur les autres qui profitent en toute liberté de ces derniers instants. Je savoure le bonheur d'avoir vaincu ma peur, d'être allée jusqu'au bout de mes émotions. La justice rendue à l'enfant. La fierté d'avoir réussi. Le plaisir enfin. De me sentir LIBRE. 

Il faut partir. Il me reste une dernière chose à faire : dire au revoir. Je sais comment. Comme un salut. En la remerciant de toutes mes forces, je m'incline lentement vers l'eau et y plonge doucement mon visage puis ma tête.  Balayée l'idée de départ d'une réconciliation : elle n'a jamais été mon ennemie. Au contraire, c'est une amie, toujours prête à me porter, à me bercer. Ce sont juste des retrouvailles. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire