jeudi 17 décembre 2015

LE PETIT FRERE AUX YEUX DE LUMIERE
PREMIER CHAPITRE  : 18JANVIER1973 8H30 RAPHAËL


       Je nage toute la journée. Lentement, voluptueusement, j'étends chacun de mes membres, toujours un peu plus. L'eau délicieusement chaude me berce et m'aide à me fondre semaine après semaine dans ce corps que j'ai choisi. Je tourne, plonge en avant, en arrière, repoussant en douceur les parois de ma bulle de bonheur. 
     Pour l'instant, je suis encore une partie du grand Tout. Un être de lumière, pleinement conscient de lui-même et des raisons de son choix. Pourtant, je sais que dans quelques mois, je serai expulsé de ce petit paradis et que je perdrai alors conscience. Non pas momentanément comme cela arrive parfois sous notre forme humaine mais pour de longues années. Certains d'entre nous ne s'éveillent d'ailleurs jamais et doivent attendre l'entre-deux vies pour comprendre enfin. 
     La prise de conscience peut s'avérer d'autant plus douloureuse qu'ils réalisent alors qu'ils avaient choisi de s'incarner dans une famille bien spécifique pour essayer d'accomplir certaines choses. S'ils ont réussi à suivre leur instinct, si les circonstances leur ont été propices, ils ont pu s'approcher de leur objectif. Dans le cas contraire, la frustration est grande et la recherche pour parvenir à renouer le fil avec la mission parfois ardue.
     Certains poursuivent ainsi leur tâche pendant plusieurs vies avant d'accomplir ce qui leur tenait à coeur. Ce qui les aide à devenir meilleurs. Moi, je sais que je suis là pour elle : pour Aurélie. Je dois réparer le mal qui lui a été fait il y a longtemps par des gens de mon clan. Je dois la libérer de cette angoisse qui l'étreint vie après vie. Qui l'éteint aussi. De ces ombres qui la cernent. 

     Bien sûr, les choses auraient été plus simples si j'avais pu être son père ou sa mère. J'aurais eu plus de poids, plus d'influence ; nous aurions gagné du temps. Seulement voilà, nous ne maîtrisons plus grand-chose une fois redevenus humains. Je sais aussi qu'elle s'est chargée d'une mission dont elle ne mesure pas toute l'ampleur. Quelque chose qui risque vraiment de la faire sombrer. Dans la folie peut-être. En tous cas, quelque chose qui la tirera vers les profondeurs. Comme dans cette piscine où on l'a poussée il y a deux ans et où elle a cru mourir. Le premier de ses traumatismes. Celui de ses onze ans.

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