dimanche 13 décembre 2015

Début de l'un de mes romans : 
Sous le sceau du secret



CHAPITRE 1 : DOULOUREUX REVEIL
     Le digito-réveil venait de se mettre en marche, impossible d’ignorer son appel pressant ; Agathe s’extirpa péniblement de la couchette rétractable qui commença immédiatement à glisser dans le mur d’acier. Le système était si sensible qu’il réagissait à d’infimes variations de pression au point que certains de ses camarades de classe prétendaient s’être retrouvés par terre en pleine nuit ! Agathe, elle, pensait plutôt qu’un employé trop zélé de la Vélati Corporation se plaisait à accélérer les choses. L’enseignement était sacré dans la Bulle et encore plus dans sa capitale Veracity : aucun retard en classe ne saurait y être toléré. Aucun passe-droit non plus : être la fille du Directeur et donc descendre en droite ligne de l’Illustre Créateur lui-même ne l’autorisait nullement à manquer l’appel du matin.
     C’était pourtant ce qui allait se passer dans moins de deux heures : dans la salle de classe le module Vélati Agathe resterait vide pendant l’Hymne. Sur le tableau de bord du Contrôle Supérieur du Dogme, dans les bureaux de la Compagnie, une lumière refuserait de passer au vert. Impossible à qui que ce soit de venir apposer sa main à la place de la sienne dans la cabine. Impensable de toute façon : Miss Percy, l’Enseignante Principale du Lycée Unique, chargée d’instruire les jeunes esprits qui lui étaient confiés, prenait sa tâche très à cœur. L’Hymne était sacré et sa vérité se devait d’être méditée chaque jour : l’Univers n’est que chaos et notre protecteur est le Nuage, la lumière grise est Unique et seule l'Énergie du Grand Vélati nous maintient en vie.
     La vraie lumière est grise. Le vrai monde n’est que fumée. Agathe jeta un rapide coup d’œil autour d’elle : oui, tout était conforme au dogme. Le métal dominait : pratique, fonctionnel, neutre. Et gris. Certes, il avait fallu construire vite et beaucoup après le Grand Cataclysme et tout avait été pensé pour occuper le moins de place, réduisant les chambres à de monacales cellules, et le métal était le matériau idéal pour ça mais Agathe comprenait qu’il y avait une autre raison à son utilisation : sa couleur. Ou son absence de couleur. La société vénérait l’obscurité, l’uniformité ; plus un objet était sombre plus il plaisait. Il en allait de même pour les êtres humains : les cheveux et les yeux foncés seuls étaient tolérés et beaucoup d’élèves enviaient à Mégane, la meilleure – et seule – amie d’Agathe sa peau noire.
     Bien différente était leur attitude envers elle. Si son nom de famille la préservait des brimades que l’on observait parfois dans le monde impitoyable du Lycée, elle n’échappait pas aux quolibets dont les plus cruels venaient presque toujours de celui qui aurait pourtant dû la comprendre mieux que quiconque : son frère. Thomas. Alors qu’elle passait dans la salle de bains, impatiente de sentir sur son corps le réconfort du ruissellement de l’eau chaude, elle croisa son propre reflet dans le miroir. Et comme à chaque fois, sa différence la saisit à la gorge. La cause de ces regards curieux, inquisiteurs, accusateurs. La raison du malaise. Du mal-être. La raison de son retard de ce matin, la seule que son terrible père, le directeur des célèbres usines Vélati, pouvait accepter : l’obligation d’aller consulter une fois de plus son médecin pour essayer de trouver une solution. Pour tenter de guérir.

      La différence, source de la suspicion. La maladie comme une malédiction. Le signe du mal. Ses yeux. Grands, magnifiquement dessinés … mais bleus.

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