dimanche 3 janvier 2016

DEUXIEME PARTIE  CHAPITRE 15 : SEULE AU MONDE

Piotr était parti depuis dix jours. Une fois de retour chez elles, Marie et Olga n’en étaient plus ressorties, préférant la tranquillité et la sécurité du palais aux bals et aux fêtes. Leurs soirées se passaient le plus naturellement du monde, en compagnie de Natacha et de Svetlana mais aussi d’Alma que Marie avait retrouvée avec bonheur. La princesse Tatare avait repris son rôle de confidente avec plaisir et Marie ne se privait pas de lui parler à la fois de Grigor et de Wladimir.
« Vous auriez dû lui donner un souvenir de vous. Cette médaille par exemple. J’ai remarqué qu’elle ne quitte jamais votre cou. Je pensais même que c’était un cadeau de votre amoureux mais vous me l’auriez dit si c’était l’un des deux qui vous l’avait offert.
- Effectivement, cette médaille ne vient ni de Grigor ni de Wladimir. Elle vient de mon meilleur ami.
- Qui est …
- Disons que c’est une longue histoire et que je ne peux donner cette médaille à personne. D’ailleurs, je suis persuadée qu’elle me protège. 
- Oui, de ces maudits hommes en noir. Je pense qu’ils ont renoncé. Voilà des semaines … Vous pourriez ressortir, profiter de la vie. 
- Non, Alma, tant qu’Oncle Piotr ne sera pas de retour, je resterai ici en sécurité. 
- Tout de même …
- Non, Alma. De toute façon, vous, vous ne voulez jamais sortir. Vous n’attendez qu’une chose, votre départ avec l’expédition dans une semaine.
- Je serai très triste de devoir vous quitter mais vous devez comprendre que ma famille me manque. 
- Je comprends mais … »
La conversation fut interrompue par un serviteur qui venait prévenir Marie qu’on l’attendait au salon. Après avoir pris connaissance de l’identité du visiteur, Marie se tourna avec enthousiasme vers sa nouvelle amie.
« Venez avec moi, Alma. Grigor est au salon ; vous ne le connaissez pas encore, vous pourrez me donner votre avis.
- Marie, je … je préfère vous laisser en tête-à-tête. Il vaut mieux que je reste ici. 
- Non, Alma, vous ne nous dérangerez pas. Puisque c’est moi qui vous le demande …
- Je pense que Grigor Alexeïevitch a hâte de vous revoir et que vous serez plus à l’aise sans moi pour lui annoncer que vous lui préférez Wladimir Nikolaïevitch.
- Je sais que j’aime Wladimir mais je ne peux pas m’empêcher de craindre qu’il ne change d’avis. De toute façon, je ne suis même pas sûre qu’il m’ait entendue. Je ne peux rien dire tant qu’il ne sera pas de retour. Je ne peux pas parler à sa place et surtout pas présenter les choses ainsi à Grigor Alexeïevitch. Et puis, pourquoi ne pas l’avouer, la présence de Grigor m’est … agréable et en attendant de revoir Wladimir, je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit de mal à le recevoir ici. Je lui dirai seulement que je ne veux me marier avec personne. 
 - Marie, je crois que vous devriez peut-être refuser de le revoir. Par amour pour Wladimir. Pour que les choses soient claires avant son retour.
- Ne pas le recevoir ? Alma, pourquoi devrais-je me priver du plaisir de sa compagnie ? Il n’y a là rien de mal.
- Peut-être n’êtes-vous pas si sûre que ça de votre choix.
- Venez avec moi, Alma, vous me donnerez votre avis.
- Non, Marie, je pense que ce n’est pas une bonne idée. 
- Quelques instants seulement. »
Alma s’apprêtait à protester de nouveau. Marie commençait à trouver son attitude un peu étrange. Par ailleurs, Grigor attendait dans l’un des salons et la politesse commandait de ne pas laisser Olga seule en sa compagnie puisque c’était elle, Marie, qu’il venait voir. Elle décida de se montrer plus directe.
« Mais enfin, vous semblez craindre cette entrevue. Qu’avez-vous contre Grigor ? Vous ne le connaissez même pas. 
- Non, effectivement mais … Très bien, je vous suis. Je vais découvrir votre Grigor. »
La princesse semblait plus résignée que convaincue. Sans plus réfléchir aux raisons qui pouvaient expliquer ce manque d’enthousiasme chez sa nouvelle amie, Marie l’entraina à sa suite.

Olga Wladimirovna était assise dans son fauteuil préféré près de la fenêtre et Grigor se tenait à ses côtés. Tout en conversant avec son hôtesse, il regardait le parc, tournant le dos à la porte par laquelle Alma et Marie pénétrèrent dans la pièce. Comme le jour où cette dernière avait fait sa connaissance, il était vêtu de blanc et de bleu et dans l’embrasure de la fenêtre sa haute taille et ses larges épaules se détachaient dans la lumière éclatante de l’été. En entendant la porte s’ouvrir, il se retourna et Marie ne put que constater à quel point la beauté du jeune homme la bouleversait encore.
Le plus curieux toutefois fut la réaction de Grigor lui-même. On aurait dit qu’il était tout à la fois heureux, surpris et … furieux. Heureux de la voir sans doute, surpris par la présence derrière elle d’Alma mais pourquoi furieux ? La princesse le gênait-elle à ce point là ? En voulait-il à Marie de ce manque d’intimité qui ne lui permettrait pas d’user à loisir de son charme ?
En tous cas, c’était bien vers Alma que se dirigeait son regard. Machinalement, Marie se tourna vers son amie. Le moins que l’on pouvait dire c’était que le regard que la jeune femme posait sur Grigor n’avait rien d’engageant. Certes, Marie ne s’était pas attendue à une immédiate sympathie entre ces deux personnes qu’elle avait appris à aimer mais elle pensait qu’ils feraient preuve d’une bienvaillante curiosité l’un envers l’autre tout simplement pour lui plaire à elle. Elle regrettait à présent d’avoir tant insisté auprès d’Alma mais il était trop tard pour changer les choses ; elle n’avait plus d’autre choix que de les présenter.
Ce qu’elle fit rapidement avant de les entendre échanger de froides salutations. La conversation qui suivit fut des plus étranges tant Marie avait l’impression d’être la seule à parler ; Olga s’était retirée dès son arrivée et les deux autres se contentaient de répondre à ses questions sans jamais se lancer aux-mêmes dans le moindre sujet.
Enfin, dès qu’elle jugea qu’un temps raisonnable s’était écoulé, la princesse prétendit avoir une question urgente à poser à l’intendant du palais pour prendre congé. Pour le plus vif soulagement des deux jeunes gens.
Une fois Alma partie, le comportement de Grigor changea du tout au tout et Marie retrouva l’homme prévenant, amoureux, qui l’avait séduite. Pourtant, elle voulait comprendre et n’hésita pas à entrer directement dans le vif du sujet :
« Vous ne semblez guère apprécier Alma, Grigor. Je vous avoue que cela me surprend quelque peu.
- Je vous présente toutes mes excuses si ma réserve à son égard vous a choquée, douce Marie. Je ne puis nier avoir trouvé sa présence importune et pour tout vous dire, je trouve que vous vous montrez d’une trop grande bonté envers cette Tatare que Piotr Ivanovitch aurait mieux fait de reléguer aux cuisines. »
Surprise et vaguement indignée par la violence des propos de Grigor, Marie insista :
« Mais que vous a-t-elle fait pour mériter tant de sévérité ?
- A vrai dire … rien, si ce n’est que je trouve honteux la façon dont ces gens nous tiennent tête. Et puis, je ne sais pas, je n’aime pas l’idée que l’une d’entre eux vive si près de vous.
- Si cela peut vous rassurer, Alma repartira pour la Crimée dans deux semaines. Elle suivra une des expéditions menée par des marchands de la compagnie de mon oncle. Elle ne devrait même plus être là mais, comme vous pouvez le deviner, le départ précipité d’Oncle Piotr a quelque peu bouleversé les choses ici.
- A ce propos, avez-vous quelque nouvelle ?
- Non, pas la moindre. Il est trop tôt, il ne doit même pas en être à la moitié du chemin.
- Je suis sûr qu’il s’agit d’une erreur, que tout ira bien … Marie, je sais que pour le moment rien ne peut être officiel mais vous ne pouvez pas avoir oublié notre conversation à Voradino. Qu’avez-vous décidé ma chérie ? Serez-vous …
- Grigor, j’ai bien réfléchi. Tant qu’Oncle Piotr ne sera pas de retour, je ne me prononcerai pas. J’espère que vous comprendrez mais pour moi, il n’y a rien qui puisse se prétendre plus urgent, plus important que le retour de mon tuteur.
- Certes, Marie, mais je ne vous demande pas de m’épouser tout de suite, seulement de me dire que ce sera possible un jour.
- Non, Grigor. Si un malheur est arrivé au Comte Simonov cela peut bouleverser notre vie à tous ici. Je ne puis engager ma parole.
- C’est ce que votre confidente vous a conseillé, sans doute ?
- Alma ? Mais pourquoi …
- Je ne sais pas. Le fait qu’elle soit venue ici confirmer ses soupçons à mon égard.
- Grigor, voyons, personne ne saurait me dicter ma conduite à part moi-même.
- Pardonnez-moi ! Vous avez raison, ma chérie. Je vous en conjure, réfléchissez bien. Ce que je vous demande n’est pas grand-chose et c’est si important pour moi.
- Oh, Grigor, je suis désolée mais je ne peux pas.
- Il y a quelqu’un d’autre, n’est-ce pas ? D’ailleurs, j’ai appris que Son Altesse Wladimir avait rompu ses fiançailles et …
- Mais qu’allez-vous chercher là ? Il a été rappelé par l’armée, voilà tout. Il n’a rendu sa parole à Sonia Ivanovna que par sens de l’honneur et de la justice.
- Honneur. Justice. Ha ! Laissez-moi rire ! Il vous a retrouvée et voilà tout.
- Grigor, voyons ! Je …
- Je crois qu’il vaut mieux briser là. Je suis désolé de vous avoir importunée. »
Le visage d’ordinaire si avenant de Grigor était devenu celui d’un étranger comme si une vague glacée l’avait envahi. Un sentiment étrange s’empara de la jeune fille, comme une sorte de crainte.
« Mais vous ne m’avez pas importunée. Grigor, je … je vous en prie ; ne vous fâchez pas !
- Fâché ? Oh non, jeune fille, je ne suis pas fâché. Après tout, vous ne m’aviez rien promis. Juste … laissé croire. Et puis vous êtes si jeune. C’est moi qui aurais dû me montrer plus prudent.
- Grigor, je vous en prie ; restons en bons termes. J’ai tellement besoin d’amis.
- Belle dame, vous n’en manquez pas et je n’ai pas vraiment pour vocation de devenir l’un d’entre eux. Vous ne pouvez pas me tenir rigueur d’avoir voulu plus.
- Non, bien sûr, pourtant …
- Ne m’en veuillez pas, Marie, mais je vois bien que Piotr Ivanovitch n’a rien à voir avec cette histoire. Vous ne concevez même pas la simple idée d’un mariage avec moi. Vous avez bien changé depuis notre premier baiser. Je sais qu’il est inutile que j’attende quoi que ce soit de vous. Laissons donc les choses suivre leur cours et pour l’heure, permettez-moi de me retirer.
- Grigor, non, je …
- S’il vous plaît.
- Bien, comme vous voudrez. »
La discussion semblait bel et bien terminée. Choquée par le refus de tout compromis qu’affichait Grigor, Marie se sentait aussi blessée par sa hâte à la quitter et inquiète de voir son honnêteté à elle ne recevoir en retour qu’un dépit mal déguisé. Effondrée, elle vit disparaître le plus bel homme du monde à la fois de son salon et probablement de sa vie.

Les larmes l’aveuglaient tellement qu’elle faillit même ne pas voir Liova dans le couloir qui menait à sa chambre. Ce ne fut que quand son ami se détacha de l’embrasure de la fenêtre où il se tenait qu’elle réagit en se jetant dans ses bras.
« Princesse, qu’est-ce qui se passe ? Dis-moi, qu’est-ce que tu as ?
- Liova, c’est fini. Fini ! Avec Grigor, je …
- Pas trop tôt.
- Quoi ?
- Princesse, tu sais bien que je ne l’aime pas. Je n’ai pas confiance en lui. Crois-moi, c’est mieux pour toi.
- Comment oses-tu dire ça ? Tu ne vois pas que ça me fait du mal ?
- C’est Wladimir Nikolaïevitch que tu aimes, non ?
- Oui, mais …
- Mais quoi ?
- C’était si … si brutal. Il n’a même pas essayé d’insister.
- Tu ne peux pas lui en vouloir d’être vexé et fier.
- Je ne lui ai même pas parlé de Wladimir.
- Ce n’était pas la peine. Si tu as refusé, par honnêteté, de lui faire la moindre promesse, il a compris. Après ce qui s’est passé entre vous, ce que tu lui as accordé, si …
- D’accord. D’accord. Ça suffit. Je vais aller me reposer au calme dans ma chambre. Si Alma me demande …
- Alma ? Elle est sortie.
- Sortie ? Mais elle ne le fait pratiquement jamais.
- Je sais mais elle avait l’air bouleversée en sortant du salon.
- Oui, c’est vrai. Je n’aurais pas dû lui demander de m’accompagner. Je ne sais pas pourquoi mais ça ne s’est pas très bien passé entre eux. 
- Elle a dû avoir besoin de se changer les idées. Elle sera bintôt de retour. »

Liova se trompait ; trois heures plus tard alors que Marie attendait toujours son amie pour lui raconter la fin brutale de l’entretien avec Grigor ce fut un messager qui se présenta devant elle. D’une main hésitante, il tendit d’abord un bracelet à Marie ; le fabuleux travail d’orfèvrerie mêlant l’argent et la turquoise ne laissait aucun doute sur la provenance du message : quelque chose venait d’arriver à Alma. Deux billets venaient à présent d’apparaître dans la main de l’homme. Sur l’un d’entre eux, la jeune fille reconnut l’écriture de son amie, elle s’en empara en tremblant et lut :
« Au secours, Marie. Vous seule pouvez m’aider. Les hommes du capitaine m’ont retrouvée par hasard dans la rue. Il est furieux et veut récupérer l’argent qu’il a perdu avec moi. Il veut que Piotr Ivanovitch le rembourse et ne me croit pas quand je lui dis qu’il est parti. Il m’a donné une seule journée pour réunir la somme sinon il me vendra de nouveau à l’un de ses amis qui habite dans l’Est du pays. J’ai tout de même réussi à le convaincre de vous faire passer ce message. Je sais que vous recevez régulièrement de l’argent de France et que votre tuteur vous fait assez confiance pour vous laisser y accéder librement. Je vous en prie, trouvez cet argent pour moi et suivez les instructions du capitaine. Par pitié, Marie ! Je vous rembourserai, je vous le promets, dès que je serai de retour en Crimée, je vous ferai parvenir la somme. Par pitié, ne le laissez pas me réduire de nouveau en esclavage ! Par pitié ! »
Le billet lui échappa des mains. Liova, vigilant comme à son habitude, bloquait la porte en attendant d’en savoir plus. Le pauvre messager fit les frais des larmes que Marie ne put retenir ; malmené par le garde du corps, il parvint tout de même à le convaincre qu’il avait été abordé par des inconnus dans la rue qui lui avaient remis une petite somme d’argent pour transmettre le message. Mort de peur, il fut ensuite jeté à la porte pendant que Liova s’approchait de Marie et s’emparait d’autorité du deuxième billet.
« Liova, qu’est-ce que …
- Princesse, écoute-moi ; Piotr Ivanovitch t’a demandé de m’obéir mais moi je te connais bien et je sais qu’il ne sert à rien de te donner des ordres. Alors, je n’ai qu’une seule question : me fais-tu confiance ?
- Oui, Liova. Plus qu’à moi-même. »
La réponse avait jailli. Claire, nette, assurée.
« Bien, alors voilà. Je vais lire ce que ce bandit propose et après on verra. Si je dis non, c’est non. Compris ? Si je m’en tenais à ma seule opinion, Alma resterait là où elle est mais je sais à quel point elle compte pour toi, alors je vais voir ce que l’on peut faire pour la sortir de là.
- Merci, Liova. Merci. Je promets de t’obéir.
- D’accord. Voilà ce que ce capitaine explique. Il veut que tu te rendes dans l’autre palais de Piotr Ivanovitch. Ce soir même. Il faut que tu trouves un prétexte pour expliquer cette heure tardive, que tu dises que tu veux y dormir ce soir, que tu fasses les choses exactement comme quand tu t’absentes quelques jours pour que personne ne soupçonne rien.
- Ma rupture avec Grigor peut me servir et Tante Olga sait à quel point j’apprécie ce petit palais et Marfa et …
- Oui, très bien. Ecoute la suite ; il dit que tu peux venir avec tes gardes … Apparemment, même ce maudit chien sait qui tu es. Enfin, bon … il explique que ce qui l’intéresse c’est l’argent, pas toi. Il sait que ce serait trop dangereux de s’attaquer à toi. S’il veut que tu viennes, c’est pour être sûr qu’on n’essaiera pas de lui jouer un sale tour. »
Gardant le silence un instant, Liova termina de lire la lettre. Sur son visage, Marie cherchait à déchiffrer ce que l’apparente impassibilité de son ami lui cachait. N’en pouvant plus d’impatience, elle osa :
« Alors, quoi ? Qu’est-ce qu’il dit ? Que …
- Voilà, voilà, écoute : trois gardes autour de ton carrosse. Moi dedans. Les gardes attendront dehors. Je rentre seul d’abord ; je vérifie que les serviteurs sont toujours vivants et qu’Alma est bien là. Ensuite, toi et moi nous leur remettons l’argent avant de repartir avec Alma. Ils ne seront que deux ; il sera donc facile de les contrôler. Dès que nous serons partis, ils relâcheront les serviteurs avant de fuir.
- Ça … ça a l’air … possible. Qu’est-ce que tu en penses ?
- Possible. Ils auront sûrement un ou deux espions dehors mais qu’importe …
- Tu crois que ce sont … eux ?
- Les hommes en noir ? Non, Princesse. Des brigands c’est tout. Intelligents mais pressés.
- Qu’est-ce qu’on fait ?
- On y va. Je rentre seul. Si tout va bien, je t’appelle.
- Oh, Liova, merci, merci, merci. »
Emportée par sa fougue naturelle, Marie était en train de couvrir le visage de Liova de baisers. Il l’arrêta d’un geste tendre.
« Doucement, Princesse. Réserve ça à Wladimir Nikolaïevitch ! Bon, tu es sûre de vouloir y aller ? D’accord. Une dernière chose ; si à un moment ou à un autre je te donne un ordre, tu le suis, c’est clair ?
- Oui, Liova. Je n’oublie pas qu’il y va de ma vie.
- Très bien, en route alors. Ton argent est dans le coffre de Piotr Ivanovitch, j’en ai la clé ; je passe prendre la somme convenue. Toi, va préparer tes affaires dans ta chambre.
- Mes affaires ? Mais nous …
- Nous partons pour plusieurs jours, rappelle-toi ; Olga Wladimirovna ne doit rien soupçonner et Anna non plus. Prends une robe, un manteau, tes bijoux … enfin tout ce que tu prends d’habitude. On se retrouve chez ta tante. Je suis sûr qu’elle a remarqué le retard d’Alma et que ton départ risque de l’inquiéter ; nous ne serons pas trop de deux pour gérer ça. Aie l’air triste, perdue, pleure si tu veux. Je me chargerai de lui expliquer et de la rassurer.
- Oh, Liova, que ferai-je sans toi ? »
Liova préféra ne pas répondre à cette question et chacun des deux protagonistes de cette histoire se hâta de faire ce qui lui incombait. Olga se montra réticente car la curieuse envie d’isolement de Marie ajoutée à l’inexplicable retard d’Alma l’inquiétaient au plus haut point. Seule la tranquille détermination de Liova parvint à l’apaiser et ce fut avec confiance qu’elle l’écouta exposer toutes les précautions que les autres gardes et lui prendraient.

Marie n’avait pas hésité une seconde à la lecture de la lettre d’Alma et elle continuait à penser qu’elle avait raison de se trouver là dans ce carrosse qui roulait vers ce petit palais qu’elle avait découvert cinq ans plus tôt pour son plus grand bonheur. Bien évidemment depuis son retour à Moscou, elle était déjà retournée rendre visite à Marfa et aux autres et y revenir dans d’autres circonstances aurait été une véritable fête. Elle n’était pas loin de penser que si on ne le lui avait pas suggéré de si étrange façon, elle serait probablement venue ici d’elle-même pour soigner les blessures infligées à son amour-propre par sa rupture avec Grigor. Le petit palais ressemblait tellement à un refuge, à une petite île loin du monde.

Non, elle n’hésitait pas pourtant son cœur battait la chamade à l’idée du danger qui menaçait Alma. Ce danger vers lequel elle se dirigeait elle aussi à présent, entrainant Liova à sa suite. Wladimir à la guerre, Piotr disparu, Alma enlevée et Grigor sorti de sa vie, Marie se sentait pour la première fois depuis son arrivée à Moscou de nouveau seule face au mal. Bien sûr, il y avait Olga et les filles mais c’était Liova qui était encore une fois son dernier rempart. Blottie dans ses bras, elle ne disait rien, totalement confiante, certaine qu’il ferait ce qu’il faudrait. Pour elle surtout. Sa seule peur était bien là, dans le fait qu’il s’oublierait pour la sauver elle. C’était sa mission. Plus que cela, sa raison de vivre comme il le lui avait expliqué une fois. Mais elle, elle ne savait pas si elle pourrait continuer à exister sans lui. Après les avoir tous perdus, elle ne pouvait pas imaginer le perdre lui aussi.

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