samedi 9 janvier 2016

LE BARINE ET LE MOUJIK DEUXIEME PARTIE CHAPITRE 21 : SAUVE !



     Le lendemain, le comte se rendit comme prévu en ville, il était furieux de ne pas avoir obtenu de Vania la seule chose qui lui importait : sa soumission. Il était bien décidé à l'abattre dès son retour avant d'essayer de fuir discrètement vers l'Allemagne où il avait de la famille.
     Sa mauvaise humeur s'accrut à la vue des cosaques du Tsar; ces chiens étaient partout à présent, il était temps d'en finir ! Il allait remonter dans son carrosse quand le groupe de policiers s'adressa à lui :
     - Monseigneur ! Vous êtes bien le comte Iliouchine, n'est-ce pas ?
     Pourtant son carrosse ne portait pas ses armes ... c'était trop bête, vraiment ... si près du but. Perdu pour perdu, il devait trouver un moyen de tuer Vania d'abord.
     - Oui, Messieurs, en personne, que puis-je pour vous ?
     Il affectait le plus grand calme et son air d'homme du monde en imposait. L'officier était jeune et intimidé.
     - Nous avons des ... ordres. Nous devons fouiller votre propriété.
     - Mais il n'y a aucun problème, je vais terminer mes courses et serai à mon domaine vers quinze heures, venez avec tous les hommes que vous voulez.

     Le comte lut l'hésitation dans le regard du jeune homme, il allait gagner ! Il mourrait, mais Vania aussi. Quand soudain, sa chance tourna;  un jeune homme blond, flanqué d'un gamin accourait vers le carrosse en hurlant :
     - Ne le laissez pas repartir ! C'est lui ! Il ne faut pas qu'il parte! 
     L'officier hésitait. Le jeune homme se présenta :
     - Alexeï Dimitriovitch Kirinski. J'ai servi Sa Majesté au quatorzième régiment. En Sibérie.
    L'officier impressionné, ordonna à ses hommes de s'emparer du comte. Comme celui-ci protestait qu'il n'y avait aucune preuve contre lui, en se débattant violemment, un éclair jaune passa devant les yeux d'Alexeï. Il s'empara de la main du comte et, en arrachant la bague, la mit sous les yeux du jeune officier :
     - La voila, la preuve, Sa Majesté en personne me l'a confiée pour que je la remette à Vania et, je suis sur ...
     Il fouilla sous la chemise du comte, avant de s'exclamer, victorieux:
     - La propre médaille de Sa Majesté, seul Vania a le droit de porter ces bijoux ! Où est-il ? Si tu l'as tué, je te jure que je te torturerai moi-même pendant des mois avant de te faire mourir très lentement.
     - Il est mort.
     Igor étouffa un cri, mais Alexeï ne fut pas dupe :
     - Non, Igor, il veut me provoquer en espérant une mort rapide, mais je suis sûr que Vania est encore en vie. Allons le chercher, j'ai appris où se trouve la propriété.


     Une heure plus tard, Vania entendit beaucoup de bruit autour de la cabane où on l'avait exceptionnellement maintenu attaché dans l'attente de son exécution. Il se dit que le comte avait décidé d'en faire un spectacle et qu'il arrivait avec une foule de serviteurs.
     Ce fut un enfant qui entra. Timidement d'abord, puis en hurlant de joie :
     - Il est vivant, Barine, vivant !
     Avant de se jeter à genoux à côté de lui pour couvrir ses mains de baisers. Ce fut alors, seulement, que Vania, hébété de fatigue et de souffrance, reconnut Igor.
    " Barine ", Igor avait dit " barine ", qui donc l'accompagnait? Un regard vert passa devant ses yeux, non c'était impossible, pas en deux semaines ! La réponse apparut avec une masse de cheveux blonds : Alexeï !


     Quelques heures plus tard, Vania était confortablement installé dans l'une des chambres du château. Il n'avait plus senti la douceur des draps d'un lit depuis plus de deux semaines. Un médecin appelé en urgence par Alexeï avait donné les premiers soins au blessé, en expliquant bien qu'il faudrait les poursuivre au moins une semaine avant d'envisager tout déplacement et qu'il fallait réhabituer progressivement Vania à manger normalement et que seul le repos rendrait à ce corps martyrisé les forces nécessaires.
     Mais c'était compter sans la volonté de fer de Vania; il voulait savoir. Alexeï raconta donc.
     - Je te dois la vie, Alexeï !
     - Je reste largement ton débiteur, Vania.
     - Comment as-tu su ?
     - Tatiana a deviné.
     Vania sourit : jeune, jolie, courageuse et intelligente ... elle serait une parfaite épouse pour Nikolaï. Une vague de tendresse l'envahit.
     - Cela fait du bien de te revoir sourire.
     - Je suis vivant et ça suffit à mon bonheur.
     - Comment as-tu pu supporter tout ça ?
     - En partie grâce à toi.
     - A moi ?
     - A vous tous. Penser à vous m'a soutenu. Surtout, Son Altesse. Mais, il était temps que tu arrives.
     - Que nous arrivions, rectifia Alexeï en s'écartant légèrement et en faisant signe à Igor d'approcher. Il a fait plus que sa part du travail. Sais tu ce qu'il m'a dit quand il s'est mis à me suivre? 
     - Non
     - Ne perdez pas de temps à discuter ou à me battre, je paierai comptant quand Monsieur sera libre.
     - Il a toujours eu du caractère ! 
     Vania se mit à rire mais il s'en repentit aussitôt car ses côtes le faisaient atrocement souffrir elles aussi. Alexeï en profita :
     - Je vais te laisser te reposer. Je dois prévenir chez moi. Natacha s'y trouve avec Sacha et Piotr. C'était plus sur et puis quand Tatiana a quelque chose en tête, tu sais qu'il est difficile de faire autrement.


     Une semaine plus tard, un carrosse prenait la route du château des Kirinski, avec un Vania bien emmitouflé à la fois contre le froid et les cahots du chemin. Il avait repris beaucoup de forces et ne souffrait plus du tout mais il se sentait encore faible. Près de lui, deux anges gardiens veillaient sur lui, le moindre de ses désirs était exaucé.
     - Vania, sais-tu que tu es très attendu ? Je viens de recevoir un message de mon père; Sa Majesté en personne est annoncée au château. Elle voyage en compagnie de Son Altesse Nikolaï.
     Un regard vert ! Deux regards verts ! Vania sourit. Alexeï se dit que Vania souriait encore plus qu'avant comme si cette horreur n'avait fait que lui donner davantage de sérénité. Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort, avait répondu son ami à ses questions.


     Pendant que Vania rentrait enfin chez lui, un carrosse entrait dans la cour d'honneur du château des Kirinski. Tous étaient agenouillés, maîtres et serviteurs, quand la portière s'ouvrit laissant descendre le maître de la Russie en personne. Juste derrière lui, le dominant légèrement apparut son cousin, suivi de son père.
     Jamais un si grand honneur n'avait été fait à la famille Kirinski; le comte le devait surtout à la modestie du château d'Orenbourg qui pouvait difficilement accueillir l'inévitable suite du Tsar. Mais il le devait aussi à l'initiative de sa fille qui avait d'autorité invité Natacha sous leur toit.
     Tatiana,elle, se sentait très fière d'être ainsi à l'origine de cette visite. Elle se tenait côte à côte avec la femme de Vania, la soutenant comme elle l'avait fait pendant toutes ces semaines.
     Nikolaï aperçut les deux femmes et sentit son coeur fondre. Il se dirigea vers elles. Tatiana sut immédiatement, au regard brûlant qu'il lui adressa, qu'il était toujours aussi amoureux. Elle faillit en pleurer de bonheur et aurait voulu le  serrer dans ses bras sur le champ pour clamer son amour au monde entier.
     Mais ce fut Natacha que Nikolaï serra dans ses bras. Ils laissèrent libre cours à leur émotion, puis Natacha prit la parole: 
     - Altesse, un messager vient d'arriver : il est vivant ! Alexeï Dimitriovitch le ramène.
     Nikolaï prit le fin visage de Natacha entre ses mains, il lut la joie dans les yeux noisettes et crut enfin à son bonheur. Il se retournait vers son cousin pour le lui annoncer mais il comprit que le comte venait de faire la même chose que Natacha. Le Tsar s'approchait; Nikolaï maintenant Natacha contre son coeur la lui présenta. Intimidée la jeune femme, comprit la délicate attention de celui qu'elle considérait toujours comme son maître : il était nettement plus facile de faire face au Tsar ainsi.
     Tatiana pensa qu'elle aurait bien aimé pouvoir en dire autant quand son tour arriva :
     - Tatiana Dimitriovna, je présume ?
     - Oui, Majesté.
     - Mon cousin a raison : votre famille vaut la peine d'être découverte. 
     Tatiana fut ravie de voir que son père n'avait rien perdu de la conversation; peut-être allait-il enfin la comprendre et l'accepter !


     Le comte dut en prendre bonne note car il se montra extrêmement gentil avec sa fille, prenant son avis sur les détails qui pourraient être agréables à Vania.
      Un nouveau branle-bas de combat eut lieu quelques jours plus tard; le carrosse était pourtant fort commun, mais l'un de ses passagers était attendu par le Tsar en personne. Tous s'inclinèrent quand Sa Majesté parut sur le perron, son cousin et son oncle derrière lui, à l'arrivée du carrosse.
     La portière s'ouvrit, Vania parut sous les acclamations de tous les présents. Immédiatement derrière lui, le soutenant à moitié, parurent Alexeï et Igor. Vania s'avança à la rencontre du Tsar mais celui-ci s'arrêtant soudain, fit signe à Nikolaï de le précéder. 
     Emu, le jeune homme obtempéra et se retrouva donc face à Vania. Celui-ci levant les yeux, crut rêver : Nikolaï était en larmes ! Il pleurait sans honte, sans retenue, tout simplement heureux de revoir vivant celui qu'il considérait comme son frère. Leur étreinte fut brève car Sa Majesté attendait, mais intense.

     Puis il s'écarta, laissant Vania face au Tsar. Chacun put alors observer comment Sa Majesté, refusant que Vania s'incline devant lui, l'attira lui aussi dans ses bras. Tous en eurent le souffle coupé.

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