dimanche 3 janvier 2016

DEUXIEME PARTIE  CHAPITRE 23 : UN ETRANGE RÊVE

« Liova ! Ce … ce n’est pas possible ! Tu …tu es …
- Mort ? Non, Princesse ! Je suis bien vivant.
- Mais, Alma …
- Viens là, approche ! »
Marie réussit à se relever et se précipita dans les bras de Liova. A cet instant-là seulement, elle s’autorisa à croire ce qu’elle voyait et sentait : les bras de son ami autour d’elle, Grigor mort et Liova vivant ! Elle commença à le couvrir de baisers et se serra davantage contre lui, lui arrachant un léger gémissement.
« Oh, pardon !
- Ça va, Princesse. J’en ai vu d’autres mais c’est vrai que cette garce ne m’a pas raté. Sans ta décision de partir avec elle, je me serais vidé de mon sang. Marfa m’a soigné pendant deux jours pendant que nos gardes te cherchaient partout. Sans résultat. Alors, j’ai décidé d’écouter mon instinct ; je me suis posté en face de chez Grigor Alexeïevitch avec deux hommes. Il était sur le départ. Je l’ai suivi. Sans illusions au début puis avec de plus en plus d’espoir en voyant le Khanat se rapprocher.
- Mais … tu as dû souffrir le martyre … à cheval, tout ce temps …
- Ça n’a pas été une partie de plaisir, Princesse, mais te serrer dans mes bras me paie de toutes mes souffrances. Dis-moi, est-ce que … est-ce que … ils t’ont fait du mal ?
- Rien d’irréparable, Liova. »

L’intense soulagement de son ami était si évident qu’il arracha un sourire à Marie. Pourtant, l’heure n’était pas à la plaisanterie, Liova avait des choses à expliquer.
« Ecoute, Princesse. Nous avons peu de temps. Tout ce que j’ai obtenu ce sont quinze minutes. Ils vont attaquer d’un instant à l’autre.
- Qui, ils ? Les russes ?
- Oui, ma chérie. Il y a deux régiments tout près d’ici, un de cosaques et un de l’armée régulière. Quand j’ai aperçu le camp tatar, j’ai fait demi-tour et je n’ai pas mis longtemps à trouver l’armée. Quand je leur ai dit où se trouvait le campement, ils voulaient attaquer immédiatement. J’ai dû leur jurer que la pupille de Piotr Ivanovitch s’y trouvait aussi et qu’elle serait la première victime de leur intervention pour qu’ils m’accordent un peu de temps.
- Oh, Liova ! J’ai peur. Je suis si fatiguée. Tous ces jours avec eux, c’était un cauchemar. Je … »
Marie se sentait soudain perdue tout d’un coup, comme si la présence de Liova, au lieu de lui redonner du courage, la faisait sombrer en l’autorisant à ne plus lutter, à se décharger du poids de son existence. Sentant le danger, Liova la prit par les épaules et l’obligea à le regarder.
« Princesse, écoute ; toi et moi, nous avons traversé tellement d’épreuves ensemble, tu ne peux pas me laisser tomber. C’est la dernière fois, je te le promets. Tout ira bien, tu verras. Je sais que tu peux le faire. Maintenant, tu dois aller te cacher entre ces deux banquettes là-bas mais avant … Ne bouge pas ! Ferme les yeux ! »
Marie obéit, comme toujours face à Liova : il était la personne en qui elle avait le plus confiance au monde. Mais quand elle sentit un liquide visqueux couvrir son visage, elle n’y tint plus et voulut savoir. Horrifiée, elle constata alors que Liova étalait le sang de la blessure de Grigor sur son visage et ses vêtements.
« Mais, que …
- Ils te croiront morte. Vite ! Fais ce que je t’ai dit ! Allonge-toi entre les banquettes ! »
Elle finit par obéir et dut ensuite affronter l’horreur : Liova venait de déposer le corps de Grigor sur elle.
« Il te protégera, ils croiront qu’on vous a tués tous les deux. »
Elle n’eut pas le temps de protester. Des cris retentirent, des appels, des coups de feu, des hennissements de chevaux effrayés se firent entendre. Aussitôt, les deux gardes pénétrèrent dans la tente. De sa place, coincée entre les deux banquettes et couverte du corps de Grigor, Marie ne voyait rien et ne pouvait que se fier à ses oreilles pour comprendre ce qui se passait. La lutte entre Liova et les deux gardes en prit des proportions encore plus effrayantes. Les cris, la bousculade et les objets renversés, le fracas de la vaisselle sur le sol … puis la banquette projetée sur Grigor et elle sous la poussée de deux combattants ; tout alla très vite. Un instant éblouie, Marie vit un voile noir s’abattre sur elle ; le coin de la banquette venait de heurter violemment son crâne. 
Quelques instants plus tard, son réveil fut douloureux ; des cris retentissaient dans ses oreilles, l’odeur du sang envahissait ses narines et l’horrible vision du corps blessé de Liova tout près d’elle l’emplissait de terreur. Elle tenta de lui venir en aide pour finir par se rendre compte que c’était impossible, un poids énorme reposait sur elle : Grigor d’abord mais aussi la banquette et par-dessus le corps d’un garde tatar. Elle ne parvenait à respirer qu’à grand-peine et finit par perdre de nouveau connaissance.
Elle sombra ensuite dans une sorte d’inconscience émaillée de rêves peuplés de dizaines de visages parmi lesquels s’imposa à plusieurs reprises celui de Wladimir.

Quand elle reprit conscience, elle était allongée dans un lit et constata que le mur à sa droite était blanchi à la chaux. Elle mit un certain temps à comprendre ce que cela signifiait : elle avait quitté le camp des Tatars. Soudain l’image de Liova blessé s’imposa à elle. Elle se mit à l’appeler.
« Marie chérie, tout va bien. Liova a de nouveau été blessé mais il est vivant. »
Marie se retourna brusquement, en reconnaissant la voix. Ainsi le rêve n’en était pas un !
« Wladimir ! Vous êtes vraiment là !
- Oui, ma chérie. Et Liova aussi, je l’ai fait installer dans la même chambre que vous, juste là-bas dans le coin. »
Se redressant sur un coude, Marie aperçut effectivement son ami étendu à quelques mètres d’elle. N’écoutant que son cœur, elle sortit de son lit et, échappant aux bras de Wladimir, se précipita au chevet de Liova dont elle commença à couvrir le visage de baisers sous le regard vaguement interloqué du jeune prince.
« Ne meurs pas, Liova, ne meurs pas ! J’ai tellement besoin de toi. Ne meurs pas, je t’en prie ! Tu as promis que c’était fini, tu avais raison mais s’il te plaît ; reste avec moi ! »
Wladimir s’était approché et venait de la prendre dans ses bras. Elle s’effondra en larmes contre sa poitrine en hoquetant.
« Lio … Liova est … il est si important … pour moi. Il m’a sauvée … encore … encore une fois. Je … c’est mon ami … mon seul ami.
- Marie, écoutez-moi ; il vivra, le médecin l’a dit et puis je suis là. Votre tuteur aussi ; il vient d’arriver. Et …oh, Marie ! Epousez-moi ! Par pitié, épousez-moi ! Ne me quittez plus jamais, ma chérie. J’ai eu si peur en vous voyant ainsi couverte de sang. Epousez-moi, par pitié !
- Je vous aime, Wladimir. Je vous aime. Je vous l’ai déjà dit avant votre départ. »
Wladimir voulut en être sûr, il souleva le menton de Marie et plongea son regard dans les yeux couleur d’ambre avant de poursuivre.
« Je … je n’osais pas le croire. Alors, c’est vrai ? Vous voulez bien de moi ?
- A une condition.
- Laquelle, ma chérie ?
- Je veux que Liova vienne vivre avec nous … enfin s’il survit … mais pas en tant que serviteur. En tant qu’ami. Que parent.
- S’il est d’accord, je le suis.
- C’est vrai, vous acceptez ? Quel bonheur ! Il faut aussi qu’Anna nous suive.
- Anna ? Votre servante ? Mais évidemment !
- Pas en tant que servante. Il faut qu’elle devienne la femme de Liova.
- Quoi ?
- Elle l’aime à la folie. Il apprendra à l’aimer.
- Mon petit lutin ! Vous avez déjà tout prévu. Je ferai tout ce que vous voudrez mais épousez-moi ! »
Sans répondre, Marie s’était haussée sur la pointe des pieds et était en train d’embrasser Wladimir quand une voix retentit juste à côté d’eux.

« Et moi, on ne me demande pas mon avis ? 
- Liova ! »
De nouveau, Marie se mit à couvrir le visage de son ami de baisers. Gêné, Liova tentait de l’arrêter.
« Maria Petrovna, vous ne devez pas …
- Arrête ! Maintenant ça suffit. Combien de fois encore devras-tu risquer ta vie pour moi avant que tous t’acceptent pour ce que tu es vraiment : mon ami. Je vais épouser Wladimir ; je veux me montrer honnête envers lui. Tu dois me tutoyer en sa présence comme tu le fais en son absence.
- C’est contre les usages de …
- Ne t’inquiète pas, Liova ! Je suis un esprit aussi original que mon père et je n’aime guère me conformer aux usages qui vont contre mon cœur. Son Altesse Nikolaï m’avait prévenu qu’en épousant Marie je devrais accepter certains compromis mais aussi qu’elle était la seule femme qui me garantirait une vie sans ennui, vraiment heureuse et intéressante, digne d’un prince Pavelski.
L’émotion était à son comble quand une silhouette apparut dans l’encadrement de la porte. 
« Oncle Piotr !
- Ma chérie, ainsi c’est bien vrai ; tu es vivante ! Je … »
Il ne put achever : Marie venait de se jeter dans ses bras.
« Oncle Piotr ! Oncle Piotr ! Donnez-moi votre bénédiction ! Autorisez-moi à épouser Wladimir.
- A peine t’ai-je retrouvée que je dois de nouveau te perdre ?
- Je vous en prie !
- Je plaisantais, ma chérie. Rien ne saurait me faire plus plaisir que cette union et bien que tu n’aies pas l’air de me demander mon avis, je consens à me séparer de Liova et d’Anna. 
- Merci, mon oncle, merci.
- Oh, Marie, si tu savais combien je m’en veux ! De ne pas avoir su te protéger. Pire même : de t’avoir entraînée là-dedans. D’avoir été la cause de la mort de tes parents. 
- Chut, Oncle Piotr, chut ! Personne n’aurait pu le savoir. Personne ne pouvait deviner.
- Marie, je suis tellement désolé pour toi. Pour tout ce que tu as vécu. Ces sauvages … J’espère que … que tu n’as …
- Non, mon oncle. En fait …dîtes-moi ; qu’est-il advenu d’Azat et de sa fille ?
- Ils ont été tués. Tous les deux. Nous allons exposer leurs têtes en public pour …
- NON ! »
Horrifiée, Marie venait de repousser Piotr en criant. Devant la stupeur qui se peignait sur les traits de son interlocuteur, elle s’expliqua rapidement.
« Je vous en prie, non ! Je voudrais qu’Azat ait des funérailles décentes. Il … il m’a épargnée et même aidée. Je vous en prie !
- Soit, ma chérie. »
Wladimir venait de les rejoindre. Piotr lui confia Marie avant d’aller serrer Liova dans ses bras et de lui glisser à l’oreille :

« Maintenant, tu peux aussi la tutoyer devant moi. A propos … j’ai toujours su que tu avais continué à le faire dans mon dos. » 

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