dimanche 10 janvier 2016

LE BARINE ET LE MOUJIK DEUXIEME PARTIE CHAPITRE 25 : IGOR S'ENTRAINE



     Les grands préparatifs avaient commencé car Tatiana avait souhaité que la cérémonie ait lieu à Orenbourg. Nikolaï et elle désirant quelque chose d'intime, fort peu de gens avaient été invités et le château suffirait à les accueillir d'autant plus facilement que le repas et le bal étaient prévus dans le parc. La grange avait été préparée pour servir de solution de secours en cas d'orage mais les domestiques s'affairaient sans relâche afin de faire paraître le château tout entier sous son meilleur jour.
     Cet après-midi là, Vania, laissant Nikolaï se promener en compagnie de Tatiana, faisait une tournée d'inspection afin de vérifier que le véritable plan de bataille qu'il avait dressé pour que le château soit prêt était suivi à la lettre. Son attention fut attirée par Boris qui était en train de nettoyer le lustre du grand salon. Vania revint sur ses pas et interpella le valet :
     - Boris, que fais-tu là ?
     - Je nettoie le lustre, Monsieur.
     - Je le vois mais ce n'est pas ma question. C'est Mikhaïl qui devait se charger de ça. Où est-il ?
     - Il est malade, Monsieur.
     - C'est très bien de vouloir aider en faisant son travail, mais beaucoup moins de me mentir. Il allait parfaitement bien hier. Il est saoul, n'est-ce pas ?
     - Je vous demande pardon, Monsieur. Je ne voulais pas vous mentir mais c'est la toute première fois que ça lui arrive. Je ...
     - Descend de cet escabeau, sors le du lit, dessoûle le et amène le moi. Il y a forcément une raison à tout ça.

     Boris s’empressa d'obéir et une vingtaine de minutes plus tard, Mikhaïl se retrouvait dans le bureau devant Vania. L'intendant alla droit au but :
     - Mikhaïl, jusqu'à présent je n'ai jamais eu à me plaindre de toi. Et voilà que tu te soûles au moment où j'ai besoin de tout le monde. Il t'est forcément arrivé quelque chose de grave. Je t'écoute, parle moi.
     Mais Mikhaïl semblait bien trop terrifié pour parler. Il n'écoutait que sa peur et murmurait sans cesse :
     - Pitié, Monsieur, pitié ! Pardonnez moi ! Pitié !
     Vania ne voulait pas perdre patience mais le temps pressait, il avait encore beaucoup de choses à faire et l'affaire semblait si grave qu'elle justifiait la présence de Nikolaï. Il décida donc d'attendre le retour du prince et craignant que Mikhaïl ne fasse la bêtise de s'enfuir, il lui ordonna de s'asseoir sur un fauteuil et l'attacha malgré ses supplications.
     Quand Nikolaï revint en fin d'après-midi, Vania l'informa donc qu'un problème à régler les attendait dans le bureau. Igor qui s'était chargé de déchausser le prince à son arrivée fut invité à les suivre au cas où ils auraient besoin de quelque chose.
     En arrivant dans le bureau, Vania libéra Mikhaïl qui en voyant Nikolaï tomba à genoux et se mit à sangloter comme un enfant. Le prince comprit que quelque chose de grave était arrivé et que faire avouer la vérité à Mikhaïl allait prendre du temps. Le valet semblait bien trop terrifié pour oser parler et Nikolaï cherchait en vain un moyen d'accélérer les choses quand il reçut l'aide dont il avait besoin:
     - Moi, je vous dirai ce qui se passe.

     C'était Igor qui venait d'intervenir. Mikhaïl rugit et tenta de se lever, aussitôt arrêté par Vania.
     - Chien ! Vermine ! Qu'est-ce qui te prend ?
     - Il me prend que j'essaie de te sauver la vie, pauvre crétin ! Tu ne comprends pas qu'il n'y aura jamais de meilleur moment pour avouer. Le maître va se marier, il est heureux, il te pardonnera plus facilement maintenant que plus tard. Tu sais bien que tu ne pourras pas toujours cacher ton secret, ça finira par se voir ...
     - Tais toi, gémit Mikhaïl qui commençait pourtant à comprendre qu'Igor avait raison.
     Mais Nikolaï avait compris :
     - Mikhaïl, réponds à mes questions ! Ta faute engage-t'elle quelqu'un d'autre ?
     Un hochement apeuré de la tête fut la réponse.
     - Une servante est enceinte ?
     - Irina, Barine.
     - Et tu le sais depuis hier ?
     - Oui, Maître, c'est pour cela que j'ai bu.
     - Tu sais que c'est là une faute des plus graves. 
     Il semblait inutile d'en avertir Mikhaïl qui tremblait de plus en plus. Nikolaï appela Igor et lui demanda d'aller chercher Irina. Il n'eut pas longtemps à attendre car Irina, n'ayant pas revu Mikhaïl de la journée, avait compris ce qui se passait et essayait d'en savoir plus en restant dans le couloir. Quelques secondes plus tard, elle pénétra donc à son tour dans le bureau à la suite d'Igor et se jeta aux pieds de Nikolaï aux côtés de Mikhaïl qui se remit à supplier :
     - Pitié, Maître, pitié ! Pitié pour Irina, Barine ! Vendez moi mais gardez la, par pitié !
     La réaction de Nikolaï fut surprenante, il appela Igor près de lui et le fit asseoir sur l'accoudoir de son fauteuil :
     - Dis moi, Igor, que ferais tu à ma place ?
     Conscient de l'importance de sa réponse à la fois pour lui et pour Mikhaïl, Igor répondit :
     - Je leur pardonnerais, mon maître, à lui et à Irina.
     Puis, voyant Nikolaï se préparer à intervenir, il se dépêcha d'ajouter: 
     - Parce que, sachant la grave faute qu'ils ont commise, ils auront à coeur de mieux travailler. Les renvoyer sur vos terres ou les vendre ne satisferait que votre juste colère, Seigneur. Trouver puis former deux nouveaux serviteurs vous prendrait beaucoup de temps et de patience, sans que vous soyez sur d'être aussi bien servi que par des gens qui vous doivent pratiquement la vie.
     Nikolaï décida de pousser le jeune garçon dans ses derniers retranchements :
     - Aucune punition ? Et l'enfant qu'en fera-t'on ? Qui fera le travail d'Irina quand elle sera trop fatiguée pour travailler, quand elle accouchera, quand elle devra s'occuper du bébé?
     - C'est vrai que c'est un problème, mais tout le monde est prêt à faire un effort, je suis fort maintenant, j'ai du temps, je peux le faire. On ne sera pas obligé de mettre l'enfant en nourrice à la campagne, on peut le garder à la cuisine, il suffit que Mikhaïl fasse un peu plus de travail à la place d'Irina ou de Katia.
     - Je ne vois toujours pas de punition !
     - Fouettez les, s'il faut absolument les punir, mais gardez les, Maître ! Mieux, pardonnez leur, ils ont eu si peur ! Comme un cadeau pour remercier le Ciel pour votre bonheur.
     - Cela suffit, Igor, tu es bien trop malin à mon goût.
     Nikolaï souriait, il s'adressa aux deux serviteurs qui tremblaient à ses pieds :
     - Igor a raison, je dois remercier le Ciel pour tout mon bonheur : je vous fais grâce de toute punition. Je profiterai de la présence du pope à mon mariage pour convenir avec lui d'une date pour votre union. Je ne veux plus vous entendre d'ici là. Dehors!

     Ce fut bien difficilement que les deux jeunes gens y parvinrent tant l'émotion qu'ils ressentaient était forte. Mais, à partir de ce jour-là, plus personne à Orenbourg ne regarda Igor de la même façon. Loin de l'agacement provoqué par sa rébellion du début en passant par la tendresse pour le jeune garçon en pleine évolution tous en étaient arrivés à une sorte de respect silencieux. 

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