dimanche 10 janvier 2016

LE BARINE ET LE MOUJIK DEUXIEME PARTIE EPILOGUE 
   


     Ils retournaient vers l'entrée principale quand, en tournant au coin du château, ils tombèrent sur un espion : Igor. Nikolaï attrapa le jeune garçon par les épaules et lui ébouriffant les cheveux, annonça :
     - Ça y est, je me souviens de toi, Igor !
     Malgré ses seize printemps, le jeune homme fondit littéralement en larmes.
     Ce soir là, il y eu une véritable fête au château et tous ses occupants irradiaient littéralement de bonheur.
     A partir de ce jour là, pour le plus grand plaisir de Tatiana, Nikolaï reprit les choses en main. Il commença par lui demander de se reposer le plus possible et décida qu'il était hors de question de repartir avant la naissance de l'enfant. Il expliqua à Tatiana qu'étant donné leur manque d'intérêt pour Moscou, une année entière passée à Orenbourg pour commencer à élever leur enfant dans le calme serait une bonne idée.
     Tatiana faillit en pleurer de joie, tant l'idée d'être près de sa mère et de Natacha pour mettre au monde son premier enfant la réconfortait. Après toute l'agitation de ces derniers mois, le calme loin de Moscou était tout ce qu'elle pouvait désirer.

     Mais elle n'était pas au bout de ses émotions; quelques jours plus tard elle put mesurer toute la profondeur de l'amour que son mari lui portait. La chose se passa pourtant pendant l'un de ces déjeuners qu'elle détestait; Nikolaï et elle avaient été invités chez son père et celui-ci fidèle à ses habitudes avait forcé sur la vodka.
     Quand cela arrivait, et cela avait souvent été le cas pendant l'enfance  de Tatiana, il devenait vulgaire et avait besoin de faire sentir qu'il était le maître et prenait un malin plaisir à humilier les gens qui l'entouraient; sa femme, ses filles et ses serviteurs. Depuis que ses soeurs étaient mariées, Tatiana avait pu observer que leurs maris, loin de prendre leur défense, en rajoutaient dans l'humiliation.
     Souvent c'était Alexeï qui avait pris leur défense, surtout celle de Tatiana qui avait régulièrement droit au fouet à la fin de ce genre de conversations pendant lesquelles elle refusait de se taire.
     Ce jour là, évidemment, il ne pouvait être question pour son père de lever la main sur elle, mais elle se sentait offensée par les propos que lui et ses gendres tenaient depuis un moment. Seuls, Nikolaï et Alexeï se taisaient, beaucoup plus sobres que le Comte et visiblement mal à l'aise, ils attendaient la fin du déjeuner pour pouvoir aller prendre l'air.
     Tatiana, lasse d'entendre parler de la nécessite de la "fermeté " dans l'éducation de ces charmants êtres inférieurs que sont les femmes, allait prendre prétexte de son état pour se retirer quand l'un de ses beaux-frères interpella Nikolaï :
     - Votre Altesse, vous ne dîtes mot, voudriez-vous nous faire croire que Tatiana Dimitriovna est un ange ?
     Nikolaï se tourna vers l'homme et lui répondit :
     - Elle est, en tous cas, ce qui s'en approche le plus sur cette terre. Sans son courage insensé et sa dignité qui ont impressionné mon cousin lui-même, je ne serais rien qu'un pauvre amnésique, risée de la Cour toute entière. Je  veux qu'elle sache combien j'ai eu besoin d'elle et  à quel point elle a su se comporter en digne princesse Pavelski. J'avoue humblement avoir moi-même porté la main sur elle par deux fois, fort de cette autorité que nous donne la loi, mais je vous le dis tout net, Messieurs, je préfèrerais subir moi-même un châtiment aussi humiliant plutôt que de l'imposer à l'ange qui a veillé sur moi pendant toutes ces semaines.
     Gênés, les trois hommes changèrent bien vite de conversation mais la chose avait été entendue de tous et de toutes et cela seul importait à Nikolaï. Alexeï souriait, la mère et les soeurs de Tatiana lui jetaient des regards d'envie et la jeune femme, elle, luttait contre l'émotion qui l’envahissait.
     Dès qu'elle le put, elle se réfugia dans les bras de son mari et laissa couler ses larmes.

     La décision de Nikolaï de demeurer ici pendant un an, puis de retourner un an à Moscou avant de revivre un an à Orenbourg et ainsi de suite, eut plusieurs conséquences.
     D'abord, Vania se sentait maintenant libéré de ses obligations d'intendant, et commença à envisager sérieusement d'aller s'installer dans sa propriété. Il y fit plusieurs séjours, seul ou avec  Nikolaï, se rassura en visitant la nouvelle écurie qui ne ressemblait en rien à l'ancienne et ne réveilla rien dans son esprit. Pour finir, il y emménagea, juste avant l'automne avec Sacha, Piotr et bien sur  Natacha qui était maintenant enceinte de leur deuxième enfant.
     Nikolaï et lui eurent donc le grand plaisir de pouvoir jouer aux voisins et pas une semaine ne passait sans que les deux familles ne soient de nouveau réunies : chasses, souvent avec Alexeï, dîners, promenades ou simples visites impromptues étaient monnaie courante. La distance d'une demi-journée à cheval étant assez respectable obligeait les uns à découcher et les autres à inviter, prolongeant ainsi le plaisir de la fête.
     Ensuite, Nikolaï avait du changer ses plans concernant Igor, il devait maintenant s'occuper lui-même de finir son éducation. C'était donc maintenant son maître et non plus Vania que le jeune garçon retrouvait tous les matins. Igor avait craint le changement car il adorait Vania et son départ, même seulement à une demi-journée de cheval, était un déchirement. Mais Nikolaï était son maître et il avait de toute évidence déjà décidé de son avenir. 
     Piotr se retrouva donc seul avec celui qui était, depuis quelque temps déjà, officiellement son père, pour ses leçons matinales. Il avait compris que son intérêt passait vraiment par là et progressait lentement mais surement. Il regrettait surtout l'absence d'Igor, le soir dans leur chambre commune et leurs conversations, parfois jusqu'aux premières lueurs de l'aube, lui manquaient terriblement.
     Igor aussi les regrettait mais il avait moins de temps que Piotr pour y penser car son maître lui laissait peu de répit. Pourtant, outre les visites à Vania, les cours qu'il donnait à Igor et les inspections du domaine qu'ils faisaient tous les deux, Nikolaï était lui-aussi très occupé; son fils était né comme prévu pendant l'été et il passait beaucoup de temps avec lui mais c'était surtout une petite fille qui monopolisait son attention.

     En effet, Tatiana ne régnait plus en maîtresse incontestée sur le coeur du prince, une enfant aux yeux verts l'avait conquis. Le terrible Nikolaï avait capitulé devant ses larmes et renonçant à l'envoyer vivre avec Vania avait gardé l'enfant près de lui. Il avait donc décidé de commencer son éducation sans perdre de temps, en attendant de lui trouver un précepteur lors de leur retour à Moscou. Ce fut ainsi qu'Igor retrouva de la compagnie pendant ses cours du matin.
     La petite fille était un véritable rayon de soleil à Orenbourg tant sa douceur, sa volonté de plaire à son cousin et sa bonne volonté désarmante réjouissaient même le coeur le plus endurci. Elle avait longtemps pensé, malgré toutes les explications de Tatiana, qu'elle était responsable des malheurs de Nikolaï et s'était vraiment sentie soulagée de le voir redevenir lui-même. Depuis, elle redoublait d'efforts pour le convaincre de la garder près de lui.
     Le matin, elle étudiait auprès de Nikolaï et l'après-midi soit elle tenait compagnie à Tatiana si Nikolaï était occupé soit elle pouvait profiter de son temps libre si Nikolaï et Tatiana souhaitaient rester seuls.

     Un jour d'automne, Nikolaï convoqua Igor dans son bureau en fin de journée et lui remit un document. Le garçon, jetant un coup d'oeil rapide au papier, le rendit à son maître en disant :
     - Oui, Maître, je sais qu'il y a trois ans, je me suis mal comporté en fabriquant ceci. Mais, je pensais que vous m'aviez pardonné. Pourquoi ...
     Nikolaï se mit à rire doucement et, faisant pivoter le document sur la table, le remit sous les yeux de son jeune valet. Igor s’intéressa de nouveau au document, le relisant soigneusement, regardant la signature ... Et soudain ... il comprit ! Sa vue se brouilla, son coeur se mit à battre à tout rompre, il se leva en se tenant à la table et vint tomber à genoux devant l'homme qui, renonçant à sa possession, venait de faire de lui un homme libre.
     Nikolaï  qui n'avait pas prononcé un mot jusqu'à présent, s'expliqua:
     - Je t'avais dit que j'aurais besoin de toi. L'occasion s'est présentée plus tôt que prévu. Vania est parti et j'ai besoin d'un nouvel intendant. C'est un travail qui t'attend depuis longtemps.
   Comme le jeune homme voulait protester, Nikolaï poursuivit :
     - Tu es jeune, je sais, mais j'ai encore plusieurs mois pour finir de te former et tu as été à la meilleure école qui existe, celle de Vania.
     Cette année là qui avait si mal commencé avec le duel et la terrible amnésie de Nikolaï, s'acheva donc ainsi avec la fin de la métamorphose d'Igor après avoir vu l'apparition sur terre du jeune Ilia Nikolaïevitch Pavelski, premier né et héritier de Son Altesse Nikolaï et de la princesse Tatiana.



                                            FIN 

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