dimanche 10 janvier 2016

LE BARINE ET LE MOUJIK DEUXIEME PARTIE CHAPITRE 26 : LES MILLE ET UNE FACETTES D'UN 
MARIAGE



     Le grand jour arriva enfin Jamais le château n'avait connu une telle effervescence; les invités étaient pourtant peu nombreux car Nikolaï et Tatiana souhaitaient en ce jour si important pour eux, ne voir que des visages amicaux et avaient décidé de faire fi des convenances. Les jours précédant le mariage, des dizaines de messages de félicitations étaient arrivés, certains même depuis Moscou, mais rien ne réjouissait plus le coeur de Nikolaï que de voir Vania et son père côte à côte dans l'allée qui le menait à l'autel.
     Par la suite, tous s'installèrent à table autour du jeune couple et avec la fête commença pour chacun des invités un véritable moment privilégié.

     Alexeï contemplait avec bonheur sa petite soeur rire et répondre du tac au tac aux plaisanteries que lui lançaient son père ou d'autres invités. Il était heureux pour elle et admirait son obstination car il l'avait observée l'été dernier et était devenu par la suite son confident, découvrant à quel point Nikolaï comptait pour elle. Alexeï ne connaissait Nikolaï que depuis un an et surtout à travers les confidences de son ami Vania, mais il sentait que cet homme laisserait sa soeur s'épanouir comme elle le méritait, loin du carcan étouffant du château familial. Il se sentait un peu abandonné aussi, pensant que sa vie serait désormais beaucoup plus terne et qu'il devrait peut-être reconsidérer l'offre du Tsar de redevenir officier.

     Assise à ses côtés, Natacha était heureuse elle aussi pour Tatiana qui l'avait si spontanément et si utilement soutenue pendant la terrible épreuve qu'elle venait de traverser. Elle était sure que Tatiana était la femme parfaite pour Nikolaï; jeune et jolie elle éblouirait les courtisans à Moscou mais courageuse et intelligente elle saurait avoir du répondant pour ne pas se laisser marcher sur les pieds. Natacha souriait en pensant que Tatiana serait peut-être un défi pour le jeune prince lui-même. Elle regardait Nikolaï et remarquait à quel point il avait changé depuis l'époque où elle l'avait connu; il semblait si jeune, si insouciant, si détendu : il avait enfin la vie qu'il méritait d'avoir se disait-elle.
  
   De l'autre côté de la table, se trouvait Vania qui lui sourit quand leurs regards se croisèrent. Il songeait que tout ce que la vie lui avait donné de bon se trouvait réuni autour de cette table : sa femme d'abord qui tenait le petit Sacha sur les genoux, Piotr d'un côté, Alexeï de l'autre. Il observait Igor qui participait activement au service et là aussi, Vania se disait qu'il avait de quoi être satisfait. Mais évidemment, ce qui le réjouissait le plus c'était l'union de ces deux êtres si parfaits à ses yeux qu'il n'aurait pu rêvé mieux.

     C'était aussi ce que se disaient à la fois le prince Pavelski et le comte Kirinski. L'un parce qu'il espérait avoir rapidement un héritier et parce qu'il savait que son fils unique, après avoir bien profité de sa liberté, avait besoin de passer à une autre étape. L'autre parce qu'il était soulagé d'avoir aussi bien casé cette jeune rebelle se déchargeant ainsi de la responsabilité de son existence.

     Celui qui venait de déposer les assiettes devant eux pensait, lui, qu'il avait bien le temps de songer au mariage et que la vie aurait été plus simple s'il était né noble comme eux mais que, tous comptes faits, il avait déjà bien de la chance d'être là. Alors qu'il débarrassait l'assiette de Vania, celui-ci enserra sa taille, l'attirant un instant contre lui avant de le laisser repartir. Igor sentit une fois de plus son coeur fondre devant cet homme qui, même au milieu de la fête pensait à lui témoigner son amitié. Il s'éloigna, les bras chargés, passant sans les voir devant Irina et Mikhaïl qui l'observaient en songeant à quel point ils lui devaient une fière chandelle. Quelques mètres plus loin, Igor, sentant le poids d'un regard, se retourna, mais ce furent les yeux de Nikolaï qu'il découvrit braqués sur lui. Ne sachant que faire, il continua son chemin, se demandant quel avenir le maître était en train d'imaginer pour lui.

     Nikolaï, lui, pensait que les années passaient vite et que Vania avait été sage de préparer l'avenir. Igor se montrait encore plus intelligent et dévoué que prévu et si Vania persistait dans son désir d'emménager sur ses nouvelles terres, le domaine serait entre de bonnes mains. Mais l'heure n'était pas encore venue et Vania s'était engagé à gérer les deux domaines au moins pendant les deux années à venir jusqu'à ce que lui-même revienne en visite. Mais une petite main qui venait de se glisser dans la sienne lui rappela que, dorénavant, il lui faudrait également prendre en compte les désirs d'une autre personne.

     Tatiana venait de glisser sa main dans celle de son époux car elle le sentait loin d'elle et voulait se rassurer. Elle feignait depuis le début du repas une assurance qu'elle était loin de ressentir. Elle avait voulu devenir la femme de Nikolaï plus que tout au monde, mais maintenant qu'elle faisait partie de sa vie, elle se demandait si elle serait à la hauteur. Ici, à Orenbourg, cela pouvait encore aller, elle commençait à bien connaître le domaine et les serviteurs, mais à Moscou ? Elle rêvait de belles toilettes, de bals, de fêtes à la Cour, désireuse de mesurer sa beauté à celle des autres femmes mais elle était consciente que sa jeunesse pouvait aussi être un handicap.

      Le déjeuner dura presque tout l'après-midi et le bal ne commença donc que lorsque la chaleur de cette fin de Juillet céda un peu. L'orchestre engagé par Nikolaï semblait infatigable et les étoiles étaient déjà apparues depuis un moment dans le ciel quand le jeune prince et son épouse cessèrent de valser pour revenir s'asseoir quelques instants à table. Le comte Kirinski voulut servir au jeune homme un verre de vodka pour le remettre de ses émotions mais Nikolaï refusa poliment avant de se servir un grand verre d'eau à la place. Le comte s'en étonna :
     - Altesse, vous ne buvez guère d'alcool à ce que je vois. Même pas le jour de votre mariage ?
     - Surtout pas le jour de mon mariage, Comte. Je veux garder les idées claires cette nuit.
     Le comte se mit à rire :
     - Allons, Votre Altesse, je suis sur qu'à votre âge, vous avez assez d'expérience pour assurer en toutes circonstances.
     Mais Nikolaï avait décidé d'être sérieux; portant la main de Tatiana à ses lèvres, il répondit :
     - Cette nuit, je ne serai pas avec une fille quelconque, mais avec la vôtre, Comte. Avec ma femme. Qui mérite tout mon amour et toute mon attention. Et puis, ajouta-t'il pour ne pas paraître trop pesant, je veux me souvenir de tout demain matin.
     Tatiana se mit à rougir, augmentant encore l'hilarité de son père. Elle décida de réagir, s'emparant de la main de celui qui était maintenant son mari, elle l'entraîna avec elle en disant :
     - Assez de belles paroles, maintenant je veux des actes. Monsieur mon père, bonsoir.

     Quelques instants plus tard,après une courte promenade dans le parc sous le ciel étoilé,le jeune couple se retrouva dans la chambre de Nikolaï. Le prince fut le premier à se glisser dans les draps, attendant que sa femme le rejoigne, mais celle-ci tardait. Quand enfin elle parut, toute trace de fanfaronnade avait disparu de ses traits et ses cheveux dénoués lui donnait encore plus l'air d'une petite fille apeurée. Nikolaï, se relevant à demi, l'attira près de lui et commença doucement à la dévêtir. Tatiana protesta :
      - Non, mes soeurs ont dit qu'il ne fallait pas ... que l'on pouvait ... faire la chose sans ... ce n'est pas convenable.
     Nikolaï se mit à rire :
     - Tania chérie, laissez moi seul juge en la matière. N'oubliez pas que je suis maintenant votre Seigneur et Maître, si ce n'est pas convenable, j'en porterai seul la responsabilité puisque vous ne faîtes que m'obéir.
     Pendant ce temps, il avait fini de déshabiller Tatiana et resta un long moment, sans voix, à admirer la plus belle femme qu'il eût jamais vue, mettant la pudeur de la jeune fille à rude épreuve. Il l'attira ensuite contre lui et  les caresses et les baisers qu'il lui procura eurent tôt fait de convaincre Tatiana des bienfaits du déshabillage total. Sa peur semblait s'être envolée tant la douceur de Nikolaï était évidente; au contraire tout son corps se tendait vers lui, elle le désirait ardemment et le lui dit.
     - Vos désirs sont des ordres, ma chérie, lui fut-il répondu.

     Et bientôt le plaisir emporta les deux amants bien loin d'Orenbourg, scellant définitivement leur union.

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