dimanche 3 janvier 2016

DEUXIEME PARTIE  EPILOGUE

Nikolaï essayait, comme tous les soirs, de tromper ses insomnies en lisant dans le petit salon, quand il entendit des voix qui venaient de l’extérieur du château, du côté du poulailler. Instinctivement, il jeta un coup d’œil autour de lui. Vania était bien là, endormi dans le fauteuil dans lequel il était venu lui tenir compagnie deux heures auparavant. L’histoire ne se répèterait pas à plus de quarante ans de distance. Le voleur de poules qui avait changé sa vie cette nuit-là était désormais son invité privilégié, son meilleur ami, son frère. Et s’il était à Orenbourg à présent, c’était bien parce qu’ils profitaient de toutes les occasions qui leur étaient données de passer du temps ensemble.
A vrai dire, à chaque fois que Nikolaï venait dans sa propriété préférée, loin de l’agitation de Moscou, Vania passait plus de temps à ses côtés que dans son propre domaine d’Oblodiye à quelques verstes de là. Au fil des ans, les voyages étaient devenus plus fatigants pour le prince et ses visites s’étaient faites plus rares. Bien qu’il se soit entouré d’intendants compétents, la gestion de ses nombreux domaines commençait à lui peser et il avait hâté la répartition de certaines propriétés entre ses enfants. 
L’aîné, Ilya, assumait dignement son rang à la Cour et gérait une bonne partie du patrimoine situé autour de la capitale. Le cadet, Sergueï, plus rêveur, avait souhaité vivre retiré dans un domaine un peu plus éloigné. Sa fille, Nina, était restée avec son mari Amaury à Oblodiye auprès de Vania. Seul, Wladimir, avait jusqu’à présent refusé l’offre de son père de lui confier l’une de ses propriétés, arguant de son jeune âge et de ses obligations militaires. Pourtant, les choses venaient de changer quelques mois auparavant quand le jeune homme avait épousé Marie juste avant le départ de Nikolaï et de Tatiana pour Orenbourg. Le jeune couple, interrogé par le prince, à propos du cadeau idéal avait alors répondu par une demande incroyablement osée exprimée par la voix de Marie : 
« Orenbourg, Père. Nous savons qu’il s’agit là d’une propriété particulièrement chère à votre cœur mais nous promettons d’en prendre le plus grand soin et de la préserver à tel point que vous ne verrez aucune différence lors de vos futurs séjours.
- Pourquoi ce choix, Marie ?
- Parce que c’est là que j’ai vu ma mère apaisée pour la première fois de sa vie. Parce que c’est là qu’est enterré Igor. Parce que c’est là que Wladimir se sent le plus proche de vous. Parce que …
- Très bien, jeune dame, vous m’avez convaincu. Vous serez la « Barinia » parfaite pour ce domaine. Venez m’y rejoindre au printemps tous les deux ; nous y effectuerons la « passation de pouvoirs ». J’aurai le temps de vous présenter à tous les starostes. Vous pourrez également choisir le village que vous souhaitez donner à Liova afin de lui assurer une rente.»
Un peu surpris au début par le souhait de Marie de vivre en permanence auprès de Liova, le prince avait fini par admettre que la chose était logique et même assez facile à mettre en œuvre. A dire vrai, l’idée qu’un homme aussi sensé veillerait sur le jeune couple le rassurait. Wladimir aurait sans doute besoin dans certains cas de toute l’influence de Liova pour se faire entendre de la fantasque Marie !

Tous les serviteurs étaient à présent endormis et de toute façon malgré le poids des ans qui rendait ses mouvements plus lents et moins précis, Nikolaï se refusait à craindre qui que ce soit ; il décida de sortir se rendre compte par lui-même de l’identité des fous qui se risquaient dehors par un tel temps. Voyageurs égarés et heureux d’avoir aperçu la silhouette du château parmi les tourbillons de neige, moujiks chargés d’un message urgent pour le Barine ou vagabonds cherchant un peu de chaleur dans l’écurie toute proche ; ils seraient tous accueillis par le maître des lieux.
Sans bruit, afin de ne pas éveiller Vania, le prince sortit du salon, s’empara de son épais manteau au passage et ouvrit l’un des battants de l’immense porte d’entrée. La neige s’engouffra en tourbillonnant dans le hall et Nikolaï dut lutter contre le vent pour sortir puis pour longer la façade.
Là-bas, sur la gauche, entre le poulailler et l’écurie, quatre silhouettes commençaient à apparaître. L’une d’elles surtout attira l’attention du prince ; un homme de haute taille, apparemment plus grand que lui-même … Il cria pour se faire entendre malgré le vent.
« Volodia ? C’est toi ?
- Oui, Père.
- Que faîtes-vous là ? Un tel voyage, en plein hiver, c’est de la folie. »
Les nouveaux arrivants étaient maintenant tout près. Deux couples ; Wladimir, Marie, Liova et Anna sa femme. Ce fut la toute jeune princesse qui répondit :
« Comme vous l’avez sûrement déjà deviné, la responsable c’est moi. Et avant que vous ne vous mettiez à crier, écoutez : je suis enceinte et il était hors de question que mon enfant naisse ailleurs qu’ici. »
Sous le choc, Nikolaï mit quelques secondes avant de répondre.
« Enceinte, Marie ? C’est fantastique et … Totalement irresponsables ! Vous êtes tous totalement irresponsables ! A l’intérieur, tout de suite ! »
Un bras se glissa sous le sien. De toute évidence, sa toute jeune belle-fille avait bien senti qu’au fond, il lui donnait raison.

En pénétrant dans le petit salon, ils trouvèrent Vania éveillé et vaguement inquiet. Pourtant, quand celui-ci découvrit la jeune princesse, un large sourire éclaira son visage.
« Marie ! Quel bonheur de te revoir enfin !
- Vania ! Enfin, rends-toi compte, ils sont inconscients : voyager en plein hiver ! Et elle est enceinte en plus !
- Enceinte ? Mais, Kolia, c’est fabuleux ! Marie est enfin de retour chez elle, après un long et pénible voyage. Et je ne parle pas de celui qu’elle vient de faire depuis Moscou. Et en plus, elle va donner la vie à son tour. »

A la feinte colère du prince répondait comme toujours le calme sourire des yeux bleus de Vania. Marie s’empara de la main de son jeune époux et la posa sur son ventre. Derrière elle, silencieux comme à son habitude mais tellement présent se tenait son cher Liova. Devant ses yeux, si différents mais si unis, les deux amis. Oui, Vania avait raison : elle était enfin de retour chez elle. En Russie.  

28 -  Volodia est le diminutif du prénom Wladimir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire