vendredi 22 janvier 2016










LA


                   GABACHINA





                                                                                                                 SYLVIE SIMONNET




                                                                                      A Jean, c'est-à-dire … à Robert.
                                                      A l’Espagne. Enfin … à mes Espagnes.
CHAPITRE 1 : LETTRE A MON FILS
Tu t’en vas. Pour un voyage sans retour. Je reste là, sur le rivage de la vie, à te regarder t’enfoncer toujours plus dans le silence. Tu as commencé par ne plus faire de sport, ensuite tu n’as plus contacté tes amis, tu n’es plus allé au collège et maintenant, tes écouteurs visés sur les oreilles, tu dérives.
Vers quels mondes ? Tout ce que je sais c’est qu’ils sont peuplés de créatures étranges ; visages cloutés ou cheveux roses, parlant une langue au rythme haché et avec la violence pour nature. Tu me parles encore, parfois, de ces histoires de clans, de luttes, de pouvoirs extraordinaires. 
Evidemment, je m’intéresse, j’essaie de suivre ; tu parles si peu en dehors de ça mais très vite, je me perds, ou plutôt je perds pied à te voir confondre ainsi réalité et … rêve ? Parfois, comme un éclair de lucidité, tu lances une de ces réparties que j’aimais tant, avec cette distance, ce décalage déjà. Et je me souviens à quel point je m’émerveillais de te voir souligner avec justesse et acuité nos petits travers et nos incohérences d’adultes.
Est-ce cela que tu as fui, conscient trop tôt des compromis, de l’hypocrisie et de la violence ? Refusant de te laisser séduire par l’illusion des sentiments, as-tu découvert qu’il n’y avait rien, rien d’autre que le vide, que la solitude …infinie ?
Bien sûr que j’en ai conscience, moi aussi mais, disons que … je fais ce que tu refuses : je joue le jeu. Oh, je n’ai aucun mérite, j’y trouve quelques compensations, la plupart du temps, mon métier, ma vie de femme et de mère, ma passion pour l’écriture m’occupent assez pour m’empêcher de penser. 
Nous mettons tous en place des stratégies pour supporter le réel une fois que nous savons que la finitude est notre lot. La fuite en avant dans le travail scolaire est plus courante qu’on ne le pense. Dans le travail tout court aussi d’ailleurs. Si tu y ajoutes des frères plus jeunes et pleins de vie, peu enclins à se poser des questions, des parents très classiques et bien structurants et des hasards de la vie propices à déclencher des passions au moment même où le doute aurait pû apparaitre, tu comprendras mieux l’absence de révolte. 

Je t’ai pourtant parlé de ces mois étranges, où mon corps semblait refuser toute nourriture, où manger une simple pomme me semblait une victoire payée au prix d’incommensurables nausées. De ce sentiment de vide, d’absence d’avenir, d’inutilité. Ce qui m’a sauvée ? Où en tous cas, poussée en avant ? L’Espagne, ou plutôt son souvenir.

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