samedi 9 janvier 2016

LE BARINE ET LE MOUJIK DEUXIEME PARTIE CHAPITRE 15 : WLADIMIR



     Peu de temps après, Nikolaï augmenta sa " collection " d'une pièce fort utile : il se trouva un intendant. Le prince venait de voir l'un des amis de son père et était passé saluer la femme de celui-ci qui lisait tranquillement au salon avant de partir.
     Soudain, il entendit des bruits de voix dans l'entrée et comprit que dès qu'il était sorti de son bureau, le maître de maison avait entrepris de régler à sa manière un problème domestique. Il semblait extrêmement furieux et par la porte du salon restée entrouverte Nikolaï aperçut un jeune homme qui essayait vainement de se défendre :
     - Monseigneur, je vous assure que je n'y suis pour rien...
     - Silence, cesse d'essayer de faire porter la faute sur ma fille !
     - Mais, je ne l'ai jamais encouragée en quoi que ce soit...
     - Tais-toi, hors d'ici ! 
     - Non, Monseigneur, par pitié, ma famille n'a plus de terres, je suis obligé de travailler, je suis votre intendant depuis cinq ans déjà...
     - Dehors ! Piotr, Igor, jetez le dehors !
     Les deux valets s'approchaient du jeune homme qui préféra se retirer de lui-même, non sans tenter une dernière fois sa chance : 
     - Je vous ai toujours donné satisfaction ! Si vous me chassez, où irais-je ? Et mes affaires ?
     - Trouve-toi une place et je te les ferai porter.
     Le jeune homme reculait de plus en plus vers la porte.
     - Pitié, Monseigneur ! Ne me chassez pas !
     Mais les deux valets venaient d'ouvrir la porte et le jeune homme se retrouva dehors.
     La maîtresse de maison présenta ses excuses à Nikolaï pour cette pénible scène, mais il la rassura poliment et prit congé. Comme il le pensait, le jeune homme se trouvait encore dans la cour du palais, les deux valets le suivaient afin de s'assurer qu'il quittait bien les lieux. Nikolaï les interpella :
     - Messieurs, donnez cette carte à votre maître, dîtes lui de faire porter les affaires de ce jeune homme à cette adresse.
     Le jeune homme sursauta, se retournant vers l'homme qui venait de parler et demeura comme pétrifié. Nikolaï s'approchait de lui et le doute ne fut plus permis; le regard vert était connu dans toutes les maisons nobles et la bague noir et or qui ornait sa main droite tout autant. 
     - Votre Altesse, je ... je ne savais pas que Monseigneur avait rendez-vous avec vous. Je ne suis pas sur de ... d'avoir bien compris ... vous voulez ... m'engager ?
     - Vous êtes bien intendant ? Sans emploi ? J'ai besoin d'un intendant.
     - Altesse, comment ... comment vous remercier ? Je tiens à vous assurer que je suis innocent de ce dont Monseigneur m'accuse.
     - Je n'ai pas de fille, lui répondit en souriant Nikolaï.
     Puis il ajouta :
     - Mais je vous crois. Mon carrosse nous attend.

     Quelques instants plus tard, Nikolaï pénétrait dans son palais accompagné de son nouvel intendant pour se trouver confronté à une petite révolution. L'un de ses valets, Youri, se trouvait à genoux entouré par trois autres domestiques qui, en voyant Nikolaï arriver se précipitèrent vers lui. Mais le prince avait déjà compris, il s'adressa directement à Youri:
     - Alors, je t'empêche de me détrousser dans la rue, j'ai la bonté de trouver un emploi et tu continues à vouloir me voler, cette fois-ci rien ne pourra te sauver.
     - Je ne sais pas ce qui m'a pris, Maître, par pitié, pas la prison! Ils me pendront cette fois, vous le savez bien! Pitié !
     Mais Nikolaï venait d'avoir une idée :
     - Wladimir Petrovitch, voici l'occasion de faire vos preuves. Que feriez-vous ?
     - Je ... je ne pensais pas, si tôt ... Bien disons que d'ordinaire l'intendant a le temps de discuter avec le noble qui l'emploie pour convenir de ce qu'il convient de faire en de telles circonstances et que l'intendant fait ce qu'on lui a demandé de faire.
     - Cela me paraît sensé, mais que feriez-vous si vous décidiez seul?
     - Par convictions personnelles, je n'enverrais pas cet homme en prison, sachant que pour un vol je le condamne en fait à mort.
     - Fort bien, quoi d'autre alors ?
     - Je ne le vendrais pas non plus, car l'homme se sachant perdu, ne serait plus gérable dans le temps le séparant de son départ.
     - Le fouet ?
     - Il peut s'avérer utile pour soulager votre colère mais ne résoudra rien. L'homme ne sera toujours pas fiable.
     Nikolaï eut l'impression de se trouver devant un jeune Vania.
     - Vous ne me dîtes que ce que vous ne feriez pas, cela ne m'aide pas beaucoup, ironisa Nikolaï.
     - J'obligerais cet homme à surveiller votre argent quand vous n'êtes pas là.
     - Quoi ?, Nikolaï se mit à rire de bon coeur.
     - Je suis sérieux, mettez le devant le coffre de votre bureau avec interdiction de le quitter des yeux, expliquez lui que si un seul kopeck disparaît c'est lui qui sera fouetté et vous verrez.
     - Il sera encore plus tenté de s'enfuir avec l'argent.
     - Vous avez un portier, prévenez le que cet homme n'a pas le droit de sortir dans la rue, comptez l'argent avant et après et le tour est joué. Vous pouvez décider de le punir davantage en l'obligeant à rester à genoux pendant sa surveillance. Vous pouvez aussi le laisser dans une pièce et aller dans une autre, il y a de nombreuses possibilités.
     Nikolaï demeura pensif un instant puis se décida :
     - Wladimir Petrovitch, j'adopte votre méthode.
     Puis, saisissant Youri par le col de sa chemise, il l'entraîna jusque dans son bureau, le fit mettre à genoux devant le coffre ouvert et lui demanda: 
     - Tu as entendu ce qu'a dit mon nouvel intendant ?
     - Oui, Maître, réussit à articuler Youri malgré la stupeur qui le paralysait.
     - Très bien, je reviens après le dîner.

     Puis Nikolaï alla dîner avec son tout nouvel intendant qui mit lui-même un certain temps avant de réaliser qu'il n'était pas en train de rêver.

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