mercredi 6 janvier 2016

LE BARINE ET LE MOUJIK  CHAPITRE 17 : LA SURPRISE DE VANIA



     Nikolaï n'était pas parti à l'aube de l'auberge, et bien que sa nouvelle servante ne fût guère lourde, il ne pouvait demander à son cheval de faire les mêmes efforts que s'il avait été seul. La route était longue et le dégel rendait les chemins malaisés à emprunter. Ce ne fut donc qu'à la nuit tombée, et avec un grand soulagement, qu'il aperçut la silhouette familière de sa demeure.
     Personne ne s'attendait à son retour, puisqu'il était censé être à l'auberge pour la seconde nuit après avoir passé la journée à aller chez l'homme  qui devait lui vendre les étalons.
     Il se dirigea vers l'écurie, et s'apprêtait à en ouvrir la porte quand elle s’entrebâilla d'elle même; Pavel avait l'ouïe fine et le sommeil léger.
     - Pavel ! C'est moi !
     Il valait mieux prévenir en effet car son nouveau cocher, sur d'avoir affaire à un voleur, se présenta pistolet à la main.
     - Maître, mais que...
     - Demain, les explications. Occupe toi du cheval et recouche-toi vite.
     Puis voyant l'étonnement de Pavel, devant la présence de Natacha, Nikolaï ajouta :
     - Tu seras le premier au courant : voici la future femme de Vania. Mais chut ! C'est une surprise !
     Cette révélation n'arrangea évidemment rien à l'étonnement du cocher mais Nikolaï se dirigeait déjà vers le château suivi de Natacha.
     La grande demeure était silencieuse, Nikolaï ouvrit lui même la porte, soucieux de ne pas réveiller inutilement ses serviteurs. Natacha et lui se délestèrent de leurs pelisses dans l'entrée, puis Nikolaï saisissant un chandelier, se dirigea vers la cuisine. La cuisinière, elle aussi ne dormait que d'un oeil, et apparut à la porte en tremblant de peur.
     La même scène ou presque se reproduisit : étonnement, présentation, étonnement à nouveau et retour au lit. Tout en mangeant du poulet froid, du fromage et du pain, Nikolaï s'amusait comme un gamin en exposant son plan à Natacha. Son idée était de se venger, gentiment, du silence de Vania, en le mettant le dernier au courant de la présence de sa future femme dans le château.
     Il conduisit Natacha à la chambre bleue, en lui recommandant de ne pas en sortir le lendemain avant qu'une servante ne soit venue la chercher. En passant devant la chambre de Vania, ils pouffaient de rire comme des enfants en marchant sur la pointe des pieds.
    
     Le lendemain, Vania s'éveilla un peu tard; il avait fait des excès la veille en marchant avec une canne et il avait du dormir plus que de coutume pour récupérer. Piotr était levé et comme tous les matins, l'attendait sagement pour descendre avec lui. Vania se prépara rapidement et ils sortirent de la chambre. Aidé de sa canne, Vania descendait l'escalier quand il croisa Irina et Olga qui le saluèrent et se remirent à chuchoter en le regardant s'éloigner.
     Vania se dit que les deux femmes avaient bien changé, et qu'elles devenaient peut-être un peu trop complices. Dans la cuisine où il mena Piotr, là encore, il se trouva face à des clins d'oeil, des rires contenus et des chuchotements. Intrigué, il s'apprêtait à s'asseoir à côté de l'enfant pour déjeuner, quand Natalia lui demanda pourquoi il ne s'installait pas dans la salle à manger.
     - Mais, Natalia, je suis seul aujourd'hui, voyons, ça serait ridicule.
     - Non, Monsieur. Je pense que vous devriez y aller.
     Vania commençait à être irrité par le comportement des domestiques ce matin et il se demandait quel vent de folie soufflait sur le château mais il décida d'aller jeter un coup d'oeil à la salle à manger à tout hasard.
     En arrivant à la porte, il crut rêver : Nikolaï était attablé devant un solide petit-déjeuner.  Vania remarqua qu'il avait l'air fatigué mais ce fut d'un ton badin que le maître s'adressa à lui.
     - Monsieur mon intendant fait la grasse matinée quand je suis parti, dirait-on...
     - Maître, mais ... comment? Les chevaux ?
     Nikolaï riait maintenant, se moquant de la surprise de Vania.
     -Installe toi. Je raconte. J'ai un nouveau jeu pour toi. Et une surprise !
     - Si c'est une surprise, Maître, je suis le seul à ne pas être au courant. Depuis mon réveil, tous chuchotent sur mon passage.
     - Oui, je sais, c'est ma vengeance et ta punition.
     - Pourquoi dois-je être puni , Maître ?
     - Pour avoir voulu me surprendre. 
     Vania ne comprenait rien à ce qui se passait mais il commençait à en avoir l'habitude avec Nikolaï, il attendit donc stoïquement la suite.
     - Début du jeu. Voici la règle : si tu es capable d'écouter toute l'histoire sans m'interrompre, tu gagnes la surprise.
     - Vos marchés sont toujours aussi difficiles à tenir pour moi, se moqua Vania.
     - Nous verrons bien. Voila le début de l'histoire. N'oublie pas : pas un mot ! C'est un homme qui tombe amoureux d'une femme, c'est une servante, lui, un homme libre. Il décide de racheter sa liberté et de l'emmener vivre avec lui. Comme il est orgueilleux, il ne demande l'aide de personne et met des mois à réunir la somme.

     Vania avait commencé  à pâlir
     - Un jour enfin, il revient avec tout ce qu'on lui a demandé, mais la belle n'est plus là, partie, envolée à l'autre bout du pays. Vendue au plus offrant.
     Au bord du malaise, Vania s'accrochait à sa chaise et fixait Nikolaï, suspendu à ses lèvres comme si sa vie en dépendait. "Natacha...non, ce n'était pas possible " Mais l'histoire continuait. 
     - Heureusement, l'homme connaissait un prince qui passant par là, avait pu faire échouer l'affaire et...
     Nikolaï s'interrompit; selon ses instructions Olga était allée chercher Natacha dès que Vania avait posé le pied dans la salle à manger et la jeune femme venait d'apparaître dans l'encadrement de la porte.
     Vania, suivant le regard de Nikolaï, se retourna. Elle était là, plus belle que jamais, radieuse. Un sourire de bonheur éclairait tout son visage. Elle se précipita vers lui, pendant que Nikolaï concluait:
     - Tu as gagné, et voici ta surprise.
     Natacha s'agenouilla à côté de Vania qui à cause de sa cheville blessée n'avait pas pu se lever à temps. Nikolaï qui avait fini de déjeuner se leva en disant :
     - Le jeu est fini, tu as le droit de parler.
     Il riait sachant pertinemment que l'émotion submergeait le pauvre Vania le rendant bien incapable d'articuler le moindre son.
     - Je vais faire un tour, je vous verrai pour le déjeuner, les amoureux. Natacha, je compte sur toi pour lui raconter les détails.

     Son rire retentissait encore pendant qu'il se dirigeait vers l'écurie.

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