samedi 9 janvier 2016

LE BARINE ET LE MOUJIK DEUXIEME PARTIE CHAPITRE 19 : LE REGARD VERT



     Quand Vania s'éveilla, ce fut tristement, pour constater que son souhait n'avait pas été exaucé : il n'était pas mort. Il était maintenant allongé, entièrement nu sur un établi en bois qui devait servir à déposer les selles des chevaux.
     Il pouvait à peine remuer tant on avait pris soin de l'entraver correctement et de toutes façons; bouger un seul muscle le faisait gémir. Tout son corps lui faisait mal et il lui fallait remonter bien loin pour retrouver une telle douleur dans ses souvenirs.
     Il entendit la porte grincer, trois hommes entraient, il vit à travers ses paupières mi-closes que la nuit était de nouveau sur le point de tomber. Il était resté évanoui toute la journée! Ce qui lui fut d'ailleurs confirmé rapidement :
     - Il est encore évanoui, affirma celui qui venait de l'agripper par les cheveux.
     - On peut le réveiller, suggéra l'autre.
     - Oui, mais il s'évanouirait à nouveau très vite, conclut le comte.
     Après une pause, il décréta :
     - Je vais le faire soigner, lui faire donner un peu de soupe et dès qu'il aura repris des forces, je m'amuserai de nouveau avec lui.
     La dernière phrase du comte fit froid dans le dos à Vania.
     - J'ai encore beaucoup d'autres jeux en réserve. Il existe bien d'autres choses que le fouet pour faire obéir un moujik récalcitrant.

     Après un dernier regard au corps meurtri, le comte et ses hommes de main sortirent. Vania respira et se dit qu'il devait absolument récupérer quelques forces et trouver un moyen de s'échapper. Quelques minutes plus tard, une frêle silhouette pénétrait dans l'écurie, elle se dirigea droit vers lui, déposa un panier à terre et crut mourir de peur en entendant la voix de Vania.
     - Qui es-tu ?
     - Je ... je m'appelle Katia. Je viens pour vous soigner. Je croyais que vous étiez encore évanoui.
     - Oui, c'est bien ce que j'aimerais que ton maître croie.
     - Ne vous inquiétez pas. Je lui dirai que vous n'avez même pas réagi.
     - As-tu de l'eau ?
     - Oui, tenez !
     Katia s'appliqua comme elle put à étancher la soif de Vania. Puis elle pansa soigneusement ses plaies, s'appliquant afin de ne pas le faire souffrir davantage. Elle déposa ensuite une couverture sur lui, puis s'agenouillant à côté de son visage, elle le lava des traces de sueur et murmura :
     - Tenez bon. Je ne sais pas qui vous êtes mais le maître a très peur de vos amis. Je l'ai entendu dire à ces deux étrangers que même Sa Majesté en fait partie.
     Vania eut un pauvre petit sourire.
     - C'est beaucoup dire, Katia. En tous cas, merci; je me sens déjà mieux grâce à tes doigts de fée.
     - Fermez les yeux.
     - Quoi ?
     - S'il vous plaît !
     Vania s’exécuta et sentit aussitôt le contact d'un chaste baiser sur ses paupières douloureuses. Il ouvrit lentement les yeux pour voir la jeune fille disparaître.

     Plus tard, alors que Vania avait enfin pu dormir un peu, il fut brutalement réveillé par un coup de cravache sur la plante de ses pieds. Il poussa un cri.
     - Te voici enfin réveillé, moujik.
     Une tentation stupide torturait Vania; répondre " oui, Maître", cesser de se battre, ne plus risquer de souffrir. Implorer une mort rapide. Des images défilèrent devant ses yeux; Natacha, Piotr, Sacha, Igor, Pavel, Alexeï ... tous les membres de son petit paradis apparurent devant lui mais sa force lui vint d'un intense regard vert : celui de Nikolaï. Sa voix qui disait : " résiste ". Il se contenta donc de grogner. Il voulait cependant éviter la provocation, faire croire que sa faiblesse était encore plus grande qu'il n'y paraissait, pour obtenir à manger et reprendre des forces.
     Le comte l'attrapant par les cheveux, l'observa un instant, Vania priait; il dut être entendu ou bien avoir l'air plus mal en point qu'il ne le pensait.
     - Descendez le de là et mettez lui les fers aux pieds. 
      Aussitôt dit, aussitôt fait. Pour la première fois, depuis des jours, Vania se retrouva dans une position à peu près normale; assis par terre, les pieds dans des anneaux métalliques reliés à une longue chaîne se terminant par un autre anneau fixé dans le mur. Une fois le cadenas refermé sur ses chevilles, il se laissa glisser au sol en position foetale afin de moins souffrir et de paraître le plus faible possible.
     Il ferma les yeux et continua à prier car il sentait le comte hésitant; en finir tout de suite en écrasant cette vermine avant que ses amis ne le retrouvent ou bien attendre et le faire souffrir. Finalement, le plaisir d'entendre Vania l'implorer fut le plus fort et le comte décida de retarder le reste de sa vengeance.

     Ce qui valut à Vania le plaisir de revoir Katia. La jeune fille lui apporta de la soupe, du pain, du fromage et de l'eau. Elle dut l'aider à s'alimenter tant les mains de Vania tremblaient dès qu'il essayait de faire un effort. Quand il eut fini, ce fut lui qui demanda :
     - Ferme les yeux.
     - Quoi ?
     - S'il te plaît !
     Il déposa un baiser sur les paupières fermées de la jeune fille qui se releva prestement et disparut. Vania s'allongea et s'endormit comme un enfant. La douleur diminuait, elle devenait presque tolérable et en tous cas ne réussit pas à le réveiller.
     Le quatrième jour de son supplice était déjà bien entamé quand son bourreau se présenta accompagné de ses hommes de main. Il semblait contrarié :
     - Je ne sais pas comment ces deux imbéciles ont pu laisser l'autre en vie, trop pressés de toucher leur argent j'imagine !
     Les deux hommes baissaient piteusement la tête, Vania attendait la suite.
     - Comment il a pu aller aussi vite, autre mystère, ce qui est sûr c'est que la police est déjà à ta recherche.
     Le coeur de Vania bondit de joie mais il s'en voulut immédiatement; d'abord parce que l'espoir est une arme à double tranchant qui en donnant plus de prix à la vie fait craindre davantage la mort et ensuite parce que le comte avait perçu ce regain d'énergie.
     - N'espère rien, moujik ! Cela m'oblige juste à passer plus tôt que prévu à l'étape suivante, nous allons partir en voyage  dès demain. Je ne vais pas pouvoir autant m'amuser avec toi que prévu, mais au moins je ne me priverai pas de tout.

         Quand Vania le vit reculer aussi loin, il comprit; seul le knout nécessitait autant d'espace.
     - Compte vingt coups, moujik.
     Vania ferma les yeux, se mit à prier et ignora les ordres et les insultes. La douleur était bien celle dont il se souvenait : atroce !
     Il hurla dès les premiers coups tant la hargne du comte, obligé de renoncer à une partie de ses projets, était flagrante. La chair qui commençait juste à cicatriser fut réouverte et les hurlements se muèrent en sanglots. Vania pleurait à présent comme un enfant, sans retenue.
     - Implore moi d'en finir avec toi, moujik.
     Un regard vert.
     - Jamais !
     - Demande ta grâce !
     Une voix : " Résiste ! "
     - Jamais.

     Vania se tordait, hurlait, pleurait mais les vingt coups passèrent et son regard ne laissait augurer aucune reddition. Le temps jouait contre le comte et il le savait; il devait renoncer à faire plier Vania pour l'instant. Le regard vert souriait à Vania pendant qu'il sombrait lentement dans l'inconscience, laissant le comte à ses préparatifs de voyage.

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