lundi 4 janvier 2016

LE BARINE ET LE MOUJIK  CHAPITRE 4 : LA PARTIE DE DAMES

      Les jours passèrent dans une même douceur, des promenades dans la campagne, de longs moments de lecture au coin du feu, des discussions passionnées sur la littérature, les sciences...ou l'agriculture.
    Des déjeuners et des dîners simples mais d'excellente qualité, des nuits dans des draps propres et soyeux, des réveils sans crainte.
    Vania se serait presque cru revenu au temps de son adolescence, chez son premier maître, a ceci près qu'il n'avait jamais été autorisé à s'asseoir à sa table. Et puis là, c'était lui l'aîné, il avait déjà trente ans et Nikolaï, il l'avait appris au détour d'une conversation, vingt-trois seulement.
    Une de leurs occupations préférées était de jouer aux dames, Vania y excellait, y ayant beaucoup joué pendant sa jeunesse alors que Nikolaï avait toujours eu mieux à faire que de s'y intéresser.

     Ce fut ce jeu, bien innocent au demeurant, qui fut la cause de la frayeur la plus intense ressentie par Vania . La scène se déroula la première fois qu'ils y jouèrent, deux jours après son arrivée. 
    Au début, tout se déroula normalement, et Vania gagna la première partie, puis la deuxième, puis la troisième. Nikolaï s'acharnait à vouloir jouer, afin de percer les mystères qui lui échappaient encore. Vania commençait à penser que son maître devait être las de perdre et se prit à imaginer qu'il pouvait se lasser de sa compagnie puisqu'il ne goûtait jamais au plaisir de la victoire.
    Il décida, fort stupidement, de le laisser gagner. Dès que Nikolaï, qui avait assez appris pour repérer le geste, s'en aperçut, il laissa éclater sa colère :
    - Pour qui te prends-tu ? Penses-tu que j'ai besoin de ta charité ? Hors de ma vue, disparais !
     Abasourdi, Vania, qui avait cru bien faire et ne comprenait rien à cette violence, tenta de se justifier.
    - Je croyais bien faire, je voulais...
    - Tais-toi, je t'ai dit. Je ne veux rien devoir à personne. Mes victoires, je ne les dois qu'à moi ! Sors d'ici !
      Le ton n'admettait pas de réplique, Vania se leva, s'inclina et, effrayé au plus haut point, passa devant un Boris tout sourire avant de regagner sa chambre.

      Inutile de dire qu'il ne dormit guère cette nuit là, et que l'aube le trouva prostré au pied de son lit, en proie au doute et à l'angoisse. Il se croyait à l'abri et une rafale de vent glacé venait de lui rappeler que sans la protection de l'homme qu'il avait mis en colère la veille, il n'était rien.
     Il n'osa pas descendre pour manger et attendit, tremblant, dans sa chambre. Quelque temps plus tard, la douce Olga vint le chercher de la part du maître. Son sourire enfantin lui fit l'effet d'un baume apaisant...le temps d'arriver au petit salon où la peur recommença à lui dévorer les entrailles à la vue de son maître.
    Celui-ci, malgré l'heure matinale, était déjà devant le jeu de dames. Vania osa :
     - Maître, ne me renvoyez pas, par pitié !
     - Silence ! Approche !
    Vania s’exécuta puis fit une deuxième tentative :
    - J'ai été stupide, mais je voulais...
    - Tais-toi ! Assieds-toi !
    Une fois assis, Vania recommença :
    - J'ai tellement peur ! Pardonnez moi !
    - Joue !
    Vania commença. Il s'appliqua, il n'osait plus rien dire. L'impression de jouer sa vie sur le damier, le rendait fou d'inquiétude. Nikolaï n'avait pas assez progressé et le battre fut assez aisé. Tandis que Vania, la tête humblement baissée
attendait le verdict, Nikolaï se redressait dans un sourire.
    Il laissa passer un instant, observant Vania puis décida d'abréger ses souffrances.
   - Je sais que la leçon a été dure . Mais tu as commis deux erreurs. La première, tu l'as compris, de me laisser gagner hier. Je ne veux pas de flatteurs, ou d'esclaves, toujours prêts à me mentir pour, pensent-ils, me faire plaisir. J'en suis entouré. Je l'ai toujours été. Je veux avoir une absolue confiance en toi, savoir que tu ne me mentiras jamais, même pas pour me plaire. Je suis exigeant, je le sais, mais je te donne aussi beaucoup, et je mérite d'être payé en retour.
      Vania allait intervenir quand Nikolaï l'arrêta d'un geste.
   - La deuxième erreur, c'était ce matin en arrivant : " ne me renvoyez pas ! " Là, c'est toi qui n'a pas eu confiance en moi; oui, j'étais fâché, mais tu n'es pas un jouet pour moi ! Comment as-tu pu penser que je te chasserais pour une partie de dames ? J'ai demandé ta grâce au Tsar, tu seras bientôt un homme libre et rien ne changera ça. Et tu deviendras mon intendant et ça non plus, je ne le remettrai pas en cause. Est-ce que c'est clair, maintenant ?
    Vania releva lentement son visage vers Nikolaï.
   - Oui, Maître, tout à fait clair. Mais la leçon a été dure, Seigneur ! Je ferai tout pour ne pas avoir à en subir une autre.
    Et il se le tint pour dit, s'appliquant à mériter en tout la confiance de l'orgueilleux Nikolaï.


5 -  Le Tsar de l’époque à laquelle se situe ce roman était Alexeï Premier








   













   




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