dimanche 10 janvier 2016

LE BARINE ET LE MOUJIK DEUXIEME PARTIE CHAPITRE 32 : QUI ÊTES-VOUS ?



      Tatiana crut que son mari délirait encore sous l'emprise de la fièvre, mais heureuse de le voir vivant, elle appela. Vassili, Dimitri, Milena et deux servantes qui attendaient derrière la porte se précipitèrent.
      Mais Nikolaï répétait en regardant fixement Tatiana:
     - Qui êtes-vous ?
      Milena s'agenouilla près du lit, mais le prince ne la reconnut pas non plus.
     - Qui est-ce ? Où suis-je ?
     Tatiana défaillit, et sans un cri, s'effondra dans les bras de Dimitri qui la porta dans sa chambre, suivi de Milena, pendant que Vassili s'agenouillait à son tour près du lit :
    - Maître, vous êtes Son Altesse Nikolaï Wladimirovitch Pavelski. C'est votre femme Tatiana Dimitriovna qui vous a veillé toute la nuit. Vous avez été agressé en sortant du palais impérial. Vous êtes le cousin du Tsar.
    Nikolaï regarda Vassili, il faisait visiblement un énorme effort pour se souvenir mais il retomba très vite sur ses oreillers, épuisé.

    Quelques heures plus tard, le médecin appelé en urgence, avoua son impuissance : Son Altesse récupérerait très vite des forces et ses jours n'étaient plus en danger mais sa mémoire restait un mystère.
     - Ayez confiance, Madame. Rien n'empêche votre mari de recouvrer l'intégralité de ses souvenirs; demain, dans huit jours, dans deux mois...
     - Ou jamais !
     Tatiana venait de finir d'elle-même la phrase du médecin. Elle se tenait très droite et très digne au chevet de son mari. En véritable princesse Pavelski, elle avait d'abord réuni les domestiques, puis, après leur avoir exposé la situation, avait conclu :
     - Tout doit continuer le plus normalement possible, c'est la meilleure chose à faire pour Son Altesse Nikolaï.
    Elle s'était ensuite informée auprès du médecin des soins à apporter au malade, puis avait convoqué Wladimir dans le bureau pour se mettre d'accord avec lui sur l'organisation de la maison Pavelski jusqu'à ce que Nikolaï soit en état d'en reprendre les rênes.
    Pendant que Vassili restait auprès de son maître, elle s'était ensuite rendue au palais impérial en compagnie de Dimitri et de Milena. Le géant blond avait été soigné la veille par le même médecin que son maître; heureusement pour lui, la balle qui avait traversé son épaule n'avait touché aucune artère et sa forte constitution lui avait permis d'être déjà sur pied. Tatiana s'était excusée auprès de lui pour l'avoir frappé la veille, sans même se rendre compte qu'il était blessé, et le géant avait failli en pleurer d'émotion. Il avait insisté pour accompagner sa maîtresse malgré la douleur toujours présente.
  
     Le Tsar était à table entouré d'une grande partie de sa Cour quand un valet s'inclina à ses côtés en lui présentant un billet. Sa Majesté lut le mot, blêmit, sembla pendant un moment chercher sa respiration, portant sa main à la gorge, puis se leva.
     D'un seul et même mouvement, tous les convives firent de même, la confusion était totale, quand le Tsar prit enfin la parole :
    - Mon cousin, Son Altesse Nikolaï a lâchement été agressé hier en sortant de ce palais. Ce mot m'apprend que ses jours ne sont plus en danger mais qu'il est devenu amnésique. Sa femme est ici. Faîtes entrer Tatiana Dimitriovna, conclut-il en s'adressant à son chambellan.
     Tous se tournèrent vers le fond de la salle où apparut rapidement une frêle petite silhouette, suivie d'une fillette et d'un géant. Chacun put admirer la grâce de la jeune femme qui, loin de paraître alourdie par l'enfant à naître, semblait au contraire l'arborer fièrement. Un murmure parcourut l'assistance lorsque l'on se rendit compte de qui était la petite fille qui l'accompagnait.
     Sa Majesté, elle-même, en fut profondément troublée tout comme par la présence du gigantesque domestique dont l'épaule bandée disait assez clairement qu'il avait, lui aussi, eut maille à partir avec les assaillants de Son Altesse.
     Tatiana, arrivée au bout de la table, s'inclina, Dimitri et Milena quelques pas derrière elle. Le Tsar s'adressa à elle :
     - Madame, j'apprends à l'instant le malheur qui vous frappe. Veuillez accepter toute notre sympathie et l'assurance de notre soutien le plus total.
     - Majesté, je vous en remercie de toute mon âme. Son Altesse vivra mais peut-être ne retrouvera-t-il jamais la mémoire.
     Tatiana faisait un effort surhumain pour ne pas craquer, elle poursuivit :
     - Si vous voulez m'aider, Votre Majesté, arrêtez ceux qui ont voulu l'assassiner et qui sans cet homme, elle désignait Dimitri, auraient sûrement réussi. Et surtout, mettez sous les verrous le prince Oblonski.
     Un murmure de protestations parcourut l'assemblée mais le Tsar se taisait et Tatiana haussa le ton :
     - Oui, Votre Majesté, mon mari a failli mourir parce qu'il a recueilli cette enfant.

     Elle se dépêcha de finir avant que le Tsar ne l'interrompe, elle savait qu'elle risquait gros à provoquer la colère du maître de la Russie mais elle était prête à tout.
     - Cette enfant que son oncle lui a confiée et dont les yeux ont fait croire à tous qu'elle était sa fille. Le prince Oblonski n'a pas supporté que Son Altesse le batte en duel et il a payé des gens pour l'assassiner.
     Le Tsar intervint enfin :
     - Madame, vous accusez sans preuves !
     - L'enquête le démontrera, Majesté, je ne demande rien d'autre que la justice. Pour Son Altesse Nikolaï et pour cette enfant !
     Plus d'un courtisan trembla devant l'audace de la jeune femme. Mais le Tsar, ému par le courage insensé de Tatiana, lui demanda d'approcher avec Milena. Il fit signe à un valet d'amener un siège et quand Tatiana fut à ses côtés, il la fit asseoir.
     - Tatiana Dimitriovna, votre courage et votre dignité m’impressionnent. Vous venez de gagner mon estime et le droit de vous asseoir en ma présence.
     Puis, il attira contre lui une Milena au bord de l'évanouissement et, la plaçant devant lui, face à l'assemblée, fit ainsi ressortir l'étonnante ressemblance de leur regard.
     - Vous avez raison, Madame, il est temps. Y-a-t-il une personne ici qui ne remarque pas la ressemblance entre cette enfant et moi-même ?
     Un silence total planait autour de la table. Le Tsar reprit :
     - Je vous présente la fille de mon oncle Fedor. Ma cousine.
        Une bombe venait d'éclater dans la salle.
     - Je doterai ma cousine comme il convient à une personne de son rang mais en attendant, je remets son éducation entre les mains de mon cousin Nikolaï. Et, il se tourna vers Tatiana, de celles de sa merveilleuse femme. J'espère que les choses sont claires.
     La dernière phrase sonna comme un avertissement.

     Quelques semaines plus tard, la Cour ne parlait que du courage et de la dignité de la princesse Pavelski et chacun admirait ses efforts incessants pour faire retrouver la mémoire à son mari. Bien qu'enceinte, elle ne ménageait pas sa peine, emmenant son époux dans le moindre endroit susceptible de réveiller ses souvenirs.
     Bien entendu, les amis de Nikolaï participaient également à ces tentatives, les serviteurs essayaient eux-aussi, à travers leurs histoires de réveiller la mémoire endormie du prince. Mais en vain.
     Le printemps s'installait, quand Milena en entrant un jour dans la chambre de Tatiana, la trouva prostrée dans l'embrasure de la fenêtre. Elle se précipita à ses côtés, lui prenant les mains et les couvrant de baisers :
     - Votre Altesse, non ! Non, il ne faut pas ! Il faut continuer à être forte !
     - Milena, je n'en peux plus ! Parfois, il me semble que Son Altesse ne retrouvera jamais la mémoire ! J'ai tout tenté!
     - Ici, oui, mais pas à Orenbourg ! Si quelqu'un peut lui rendre la mémoire, c'est surement ce Vania dont vous m'avez parlé !
     - Vania ! Oui, mais oui, bien sur ! Milena, je t'adore !
     Elle serra la petite fille contre son coeur et courut donner des ordres.

     Quelques jours plus tard, le couple princier accompagné de Vassili, Yelena, Dimitri et de Milena entreprenait ce que Tatiana appelait en son for intérieur : le voyage de retour vers la mémoire perdue de Nikolaï.

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